Vous occupez la fonction de Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, en quoi consiste votre travail quotidien?
Je porte deux casquettes: en tant que Préposé à la transparence, je suis en charge de la mise en œuvre des procédures de conciliation conformément à la loi sur la transparence. Toute personne qui présente une requête mais ne reçoit pas un document de l’administration fédérale peut passer par moi.
J’essaie ensuite d’aboutir à un accord. Si cela ne fonctionne pas, j’émets une recommandation à l’attention des parties sur la manière de procéder concrètement. Si l’une des parties ne l’accepte pas, elle peut recourir au Tribunal administratif fédéral.
En tant que Préposé à la protection des données, mon travail consiste à faire respecter la loi sur la protection des données par l’administration fédérale et les privés (personnes privées et entreprises).
Quelles sont les actions les plus importantes que vous avez entreprises en matière de protection des données et de transparence?
Dans le domaine de la loi sur la transparence, nos recommandations ont notamment contribué à amener plus de transparence en matière d’argent public (subventions, soutien à la recherche, indemnités de départ des fonctionnaires de la Confédération, etc.). Au niveau de la protection des données, il s’agit d’éviter que la sphère privée ne sombre face à la révolution numérique. Le droit à l’image a-t-il par exemple encore une place à l’ère d’internet et des réseaux sociaux? La décision du Tribunal fédéral sur le cas «Google Street View», que nous avons provoquée, a établi des limites importantes et a confirmé formellement la primauté du droit à l’image.
Le commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme, Nils Muižnieks, vient d’envoyer une lettre au Conseil fédéral suite à la récente révision de la loi sur le renseignement. Partagez-vous son analyse sur les risques de violation de la sphère privée qu’amène la révision?
Je n’ai pas connaissance de cette lettre et des critiques de Nils Muiznieks. Mais en résumé: alors que les compétences des services de renseignement français, suite à l’attentat contre Charlie Hebdo, ont été massivement élargies et que la situation anglaise est comparable, les possibilités des services de renseignement de la Confédération sont clairement limitées et strictement contrôlées.
La protection des données personnelles, et donc de la sphère privée des citoyen·ne·s, est-elle toujours suffisamment garantie avec la révision de la loi sur le renseignement?
Il est clair que la nouvelle loi sur le renseignement étend largement les possibilités d’intervention des services secrets dans la sphère privée des citoyennes et des citoyens. Cela est dangereux. Le Conseil fédéral justifie cette révision en expliquant que ces moyens coercitifs ne seront utilisés que dans des cas bien précis. Il parle de moins d’une douzaine de cas par année. Je me suis engagé afin que cela soit contrôlé de manière stricte et conséquente. L’injonction d’un tribunal indépendant sera nécessaire, puis l’approbation du Conseil fédéral, qui assumera ainsi la responsabilité politique de ces interventions fortes dans des cas précis.
De plus, une nouvelle autorité de surveillance indépendante sera chargée, suite à ma demande, de contrôler après coup si les prescriptions de la loi sont respectées. Cette autorité pourrait aussi réagir au cas où des dizaines voire des centaines de téléphones ou d’espaces privés étaient mis sur écoute du jour au lendemain.
Suite à l’activisme d’un juriste autrichien, la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré «invalide» le cadre juridique qui couvre le transfert de données personnelles de l’UE vers les Etats-Unis – connu sous le nom de «Safe harbour». Comment analysez-vous cette décision vue de Suisse?
L’arrêt de la Cour est une conséquence immédiate des révélations faites par Edgar Snowden. Cela aurait aussi des conséquences pour la Suisse, bien que nous ne soyons pas membres de l’Union Européenne. Pour le moment, nous sommes en train d’analyser les conséquences pour la Suisse.
Enfin, la campagne des élections fédérales a montré des excès et des inégalités en matière de dépenses financières. Une législation fédérale sur la transparence des dons aux partis politiques et une limitation des budgets de campagne n’est-elle pas nécessaire?
Absolument. Il est très important que l’utilisation de deniers publics soit rendue transparente, tout comme il est aussi important de rendre publics quels soutiens privés veulent influencer l’opinion publique.
Enfin, de manière générale, trouvez-vous que les libertés individuelles, en particulier, sont suffisamment prises en compte dans le débat public en Suisse?
Du fait de la portée de la révolution numérique, qui touche et continue à bouleverser de fond en comble tous les domaines de la vie, nous ne sommes encore qu’au début de cette discussion. Elle doit être étendue plus largement et surtout menée de manière bien plus approfondie. Peut-être que le tout récent groupe d’experts sur le traitement des données et la sécurité des données, accepté par le Parlement et mis en place depuis par le Conseil fédéral, pourra donner les impulsions nécessaire au débat.
Propos recueillis et traduits par Ilias Panchard