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Du ménage dans les chiffres suisses

Joaquim Golay •

Vers l’égalité entre les femmes et les hommes, le titre du mémento de l’Office fédéral de la statistique (OFS) dédié aux questions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes est tout-à-fait parlant: l’égalité face au travail domestique n’est de facto pas du tout une réalité en Suisse.

L’idée d’égalité est précise: elle suppose une répartition équilibrée d’au moins deux éléments l’un par rapport à l’autre. Prenons – au hasard – deux éléments, justement. La catégorie des «femmes» et la catégorie des «hommes». Appliquons un critère, disons du type «responsabilité principale pour le travail domestique dans les couples». On module selon le nombre et l’âge des enfants, on secoue un peu et on verse. Comme souvent lorsque l’on aborde les questions d’égalité entre femmes et hommes, ce qui surprend tout de suite c’est l’intensité du goût. Non que l’on s’attende à une harmonieuse distribution des proportions formant une gracieuse symétrie en regard de l’axe sexué, mais là, tout de même. Peut-être un coup de malchance? Retentons une fois notre expérience, en étendant la définition de «travail domestique» à la portion rémunérée, c’est-à-dire en tant qu’emploi salarié rétribué par une tierce personne bénéficiant de prestations particulières: comme un mauvais film avec un mauvais scénario, la mauvaise fin s’annonce aussi inéluctable qu’elle se réalise effectivement…

Un constat sans ambigüité

Pour être un peu plus explicite et si l’on en croit les chiffres 2007 de l’OFS: «Sur dix femmes qui vivent dans un ménage comptant [un ou] des enfants de moins de quinze ans, environ huit assument seules la responsabilité du travail domestique». Dans le meilleur des cas, cette proportion tombe à un peu plus de six pour les jeunes couples sans enfant. Si l’on considère la catégorie salariée du travail domestique, un rapport de l’Observatoire Universitaire de l’Emploi précise que «les femmes représentent 91% de travailleurs domestiques quand toutes les formes juridiques sont incluses et 94% de travailleurs domestiques quand la forme juridique est limitée aux travailleurs indépendants». Partant, deux analyses sont possibles: soit un état de fait particulièrement inégal et injuste subsiste, soit les personnes assimilées à la catégorie des «femmes» sont irrésistiblement portées sur l’exécution de tâches (souvent subalternes, peu gratifiantes, répétitives, fatigantes, et bénévoles tant qu’on y est) qui correspondent comme par hasard et providentiellement aux stéréotypes de genres. Notons au passage que le Bureau International du Travail estime que le travail non-rémunéré représente environ la moitié, dans les pays «développés», du Produit Intérieur Brut.

Patriarcat forever

Non content de cette conclusion, il semble que pour prendre la dimension des chiffres évoqués ci-dessus, un petit coup d’œil aux mesures suivantes se révèle indiqué. A ma gauche, toutes catégories confondues (nombre et âge des enfants), en 2007, environ une femme sur dix de plus partage les tâches domestiques avec son conjoint par rapport à 1997. «Grande victoire!» clame-t-on, moins de femmes se retrouvent toutes seules à assumer le travail domestique de la famille. Hauts les cœurs. A ma droite, pour dix travailleurs ou travailleuses salarié-e-s domestiques en 2001, il y a une travailleuse de plus en 2006. Du point de vue de l’égalité, les femmes accomplissent donc toujours les mêmes tâches et dans des proportions identiques. Force est donc de constater qu’il faut mettre en doute les argumentations affirmant que la situation globale des femmes s’améliore. Au contraire, les logiques patriarcales ne disparaissent pas, ne s’atténuent même pas, elles se transposent et se maintiennent.

Ces chiffres constituent une saisissante mesure du travail qu’il reste à accomplir – même s’il ne faut pas oublier qu’ils se conforment à une vision binaire et hétéronormée qui ne remet pas en question les catégories «femmes» et «hommes».

Publié dans Pages de gauche n° 75 (février 2009).

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