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Disparition de Raymond Durous: Ouvrir des portes et des fenêtres

Raymond Durous nous a quittés le 20 octobre. Il avait fidèlement accompagné notre journal ces dix dernières années, comme rédacteur occasionnel d’abord, puis comme membre du comité de son association éditrice. Il nous envoyait régulièrement, rédigés de son écriture manuscrite soignée dans laquelle on reconnaissait l’ancien professeur, des articles sur quantité de sujets. Il avait ainsi écrit une série de chroniques sur le pacifisme, à l’occasion du centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, ou un bel article pour les 50 ans de la catastrophe de Mattmark en 1965, des nécrologies de Marek Edelman (qu’il avait rencontré) ou de Francesco Rosi, jusqu’à cet entretien de plus de deux heures qu’il nous avait accordé l’année passée, alors que la maladie l’avait déjà affaibli.

Tout le monde se souvient de la chaleur avec laquelle il parlait de son métier d’enseignant. Il nous expliquait pourquoi l’éducation était essentielle à ses yeux, car elle seul peut «rendre les élèves résistants aux conneries qu’on pourra leur raconter plus tard». Il ajoutait que, pour y parvenir, on ne peut se contenter d’un contenu à transmettre, il faut aussi une atmosphère qui soit propice à sa transmission, une atmosphère faite de respect et de cordialité. Car Raymond Durous aura d’abord été un immense enseignant, marquant des générations d’étudiant·e·s du collège de l’Élysée, les initiant à l’histoire, à la politique, au cinéma, à l’écologie, et même au sport! Nous n’oublierons pas ses réflexions sur ce qui fait le prix de l’enseignement, et son importance cruciale dans une société démocratique. Il voulait, disait-il, «ouvrir des portes et des fenêtres» aux jeunes qui, pour certain·e·s, ne semblaient être confrontés qu’à des murs.

Raymond Durous nous avait dit que, pour lui, «il y avait une continuité absolue entre l’enseignement et l’écriture». Sa retraite venue, il s’était en effet transformé en écrivain, publiant de nombreux livres aux éditions de L’Aire, chez son ami Michel Moret. Un livre consacré à son père, qui l’avait initié au socialisme, Victor le conquérant (en 2005), puis deux volumes parlant de l’immigration italienne en Suisse, Des ritals en terre romande (en 2010 et 2012). En 2014, il narrait encore quelques-uns de ses innombrables voyages en Europe centrale, une région qu’il a écumée dans tous les sens pendant des décennies, dans 50 ans de bourlingue entre Baltique et mer Noire.

Partout chez lui on trouve un même guide: la défense des plus faibles, des opprimé·e·s, des exploité·e·s. Bien que n’ayant jamais adhéré à un parti politique, il était presque naturellement socialiste. Pour ce grand connaisseur de l’Europe de l’Est, l’admiration du régime russe et de ses satellites était une absurdité. Mais ses combats en Suisse, notamment avec les locataires du Pont des Sauges au début des années 1970, ne lui rendaient pas les régimes de l’Ouest moins critiquables. Son engagement socialiste et démocratique ne s’est jamais démenti, et il continuait inlassablement à s’indigner de vilenies de nos sociétés, comme lors de la publication de la photographie du petit Aylan, mort sur une plage turque en 2015.

C’est ce souvenir que nous garderons de lui: à la fois son immense curiosité et cette aptitude à transmettre ses passions, qui étaient innombrables, aux personnes qu’il côtoyait.

La rédaction et le comité de Pages de gauche

Hommage paru dans Le Courrier du 30 octobre 2018

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