Des privilèges pour quelques-uns

Clémence Danesi •

Le 26 juin dernier, le Parti socialiste vaudois (PSV) a décidé d’accorder une deuxième dérogation à Roger Nordmann pour le Conseil national et de désigner Pierre-Yves Maillard comme candidat au Conseil des États. Retour sur une décision problématique à plusieurs niveaux.


En vue des élections fédérales de 2023, le PSV s’est réuni en congrès pour choisir le candidat devant récupérer le siège vaudois du Conseil des États perdu en 2019. La décision se jouait entre deux personnalités du parti: Pierre-Yves Maillard, ancien Conseiller d’État, actuel président de l’Union syndicale suisse (USS) et nouvellement élu au Conseil national (après y avoir siégé une première fois entre 1999 et 2004), et Roger Nordmann, élu au Conseil national sans discontinuité depuis 2004 et chef du groupe socialiste. Deux dinosaures du parti, comme le disent certain·e·s. Bien que le président de l’USS semble partir favori, les soutiens sont nombreux des deux côtés et le débat s’annonce intense. Ou plutôt s’annonçait intense. En effet, 24 heures à peine avant le début du congrès, une fuite dans les médias révèle un véritable retournement de situation. Les deux candidats se seraient arrangés entre eux pour proposer une «solution miracle» au congrès. Roger Nordmann est prêt à retirer sa candidature et laisser une voie royale à Pierre-Yves Maillard vers les États si le congrès lui accorde une seconde dérogation pour continuer à siéger au national. Malgré la résistance d’une partie de l’assemblée, dont celle de la Jeunesse socialiste vaudoise (JSV), cette proposition a été acceptée de justesse (à sept voix!) à la majorité des deux tiers par les membres du congrès.

Avec cette annonce de dernière minute, prise par quelques têtes dirigeantes, on assiste donc à un déni de démocratie au sein du parti. Malgré certains commentaires de la part des médias, l’élection d’un candidat ne relève pas d’un «psychodrame» ou d’une «guerre fratricide». Ce processus est un simple exercice de débat interne qui aurait permis aux membres du congrès de discuter ensemble des candidats, de leur vision du parti, de leur réponse aux défis de la société et, soyons encore plus optimistes, de ce que signifie le socialisme aujourd’hui. À la place, la discussion a (encore une fois) porté sur les dérogations. Et nous touchons ici au fond du problème de cette proposition: l’octroi d’une nouvelle dérogation à Roger Nordmann, qui aurait dû quitter le Conseil national à la fin de la législature. Alors que le PSV impose dans ses statuts une limite de mandats, ces mêmes statuts permettent d’y déroger de manière exceptionnelle. Malheureusement, ces dernières années, ces dérogations semblent devenir la norme dans le parti, en particulier lorsqu’il s’agit de les accorder à des hommes élus depuis de nombreuses années… Cette dernière dérogation est de plus la deuxième accordée à Roger Nordmann. Cela prouve d’autant plus la dérive actuelle. Pourtant, si la règle visant à limiter le nombre de mandats existe, c’est pour une raison précise: éviter que des personnalités s’accrochent à leur siège. Un système démocratique digne de ce nom nécessite un renouvellement régulier des personnes qui le font fonctionner.

Évidemment, le PSV a justifié cette décision en ressortant le vieil argumentaire des «locomotives»: pour gagner des élections, le parti doit proposer des personnalités connues, qui rassemblent et qui récoltent des voix, même dans le camp adverse. Cette stratégie est censée arrêter les défaites consécutives du PSV. Normalement, lorsque l’on perd, on essaie de changer de stratégie, pas de retenter avec les mêmes personnes. Si le PSV veut réellement à nouveau convaincre la population, il ne peut pas continuer sur la même lignée que ces dernières années. Une remise en question en profondeur est nécessaire. Si le taux d’abstention atteint des records, c’est notamment parce que beaucoup ont l’impression que leur vote ne change rien, que ce sont toujours les mêmes aux commandes, qu’ils et elles ne peuvent plus avoir confiance en la politique. Avec cette décision, le PSV ne fait que renforcer le sentiment que la politique consiste avant tout à des arrangements en coulisse. Quant aux jeunes qui descendent dans la rue pour le climat, ils et elles demandent un changement radical, une autre manière de faire de la politique. Ce n’est pas avec des dinosaures que le PSV sera capable de proposer ce changement.

Finalement, cette décision est le résultat d’un abandon de la culture du débat au sein du PSV, et d’un refoulement de plusieurs années de la participation de sa base. Il serait faux de penser qu’il ne revient qu’aux élu·e·s et aux résultats électoraux de dicter la vie d’un parti. Il ne reste plus qu’à espérer que le renouvellement de la présidence et du comité directeur lors du dernier congrès (bien qu’assombri par toute cette histoire) permettra de donner un véritable nouveau souffle au PSV.

Crédits images: Atoq sur Unsplash.

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