Dans l'analyse qui a été faite jusqu'à présent de la crise économique, un élément crucial a été systématiquement passé sous silence dans les analyses dominantes et dans la presse bourgeoise.
L'inflation immense de la sphère financière par rapport à l'économie dite « réelle » est un déséquilibre majeure qui se résout par une crise financière. Mais qu'est-ce qui explique le développement de cette sphère financière? La plupart des commentaires, à gauche, ont mis en avant la dérégulation incroyable qu'ont connu les marchés, ce que certains ont appelé le capitalisme « débridé ».
Mais cette dérégulation n'a conduit à une inflation de la sphère financière que parce que des sommes immenses ont pu être déplacées de l'économie dite « réelle » vers les marchés financiers. Or ce déplacement ne s'explique que par une évolution qui a pris place dans l'économie « réelle », c'est-à-dire dans la sphère productive. Cette évolution, c'est l'affaiblissement considérable de la part des salaires par rapport aux profits. Autrement dit c'est l'accroissement de la part du capital dans le rapport capital/travail qui explique le développement de la sphère financière. Ce qui, soi dit en passant, permet de qualifier la crise actuelle de crise du capitalisme et non seulement de crise financière.
Ce rapport capital/travail si défavorable aux salarié-e-s doit être remis dans le contexte néo-libérale qui structure le capitalisme depuis le milieu des années 1970. Les transformations de la sphère productive (parcellisation du travail, tertiairisation de l'économie, post-fordisme, etc.), les contre réformes néolibérales (baisses d'impôts pour les riches, réduction du service public, affaiblissement des protections légales,…) ainsi que les transformations géopolitiques (« libération » de millions de travailleur/se-s par l'effondrement de l'URSS et le développement du capitalisme en Chine et en Inde, etc.) expliquent cette configuration du rapport capital/travail qui produit aujourd'hui une crise financière et économique d'une ampleur immense.
Or la crise du capitalisme est aussi une crise écologique. Jamais l'exploitation de la nature n'a été aussi grande et aussi incontrôlée: réchauffement climatique, épuisement des ressources, crise alimentaire, destructions des océans etc . (Pour plsu de détails, voir mon article )
Il faut donc arriver à penser la sortie de la crise à la fois du point de vue du rapport capital /travail et du point de vue écologique.
Un seul moyen pour y parvenir: la réduction du temps de travail .
En l'absence d'un mouvement ouvrier fort, la tendance « naturelle » du capitalisme est d'affecter les gains en productivité à un accroissement de la production. Une telle tendance est néfaste à la fois du point de vue des salariés (la part des salaires baisse au profit du capital, et ceci conduit à l'inflation de la sphère financière, ce qui conduit à des crises) et du point de vue écologique (la production s'accroît et avec elle l'exploitation des ressources naturelles et la pollution.
La nécessité sociale et écologique est de renverser cette logique. Le développement des forces productives – de l'organisation humaine et technologique du travail – a accru énormément la productivité. Il est plus que temps que cet accroissement profite aux salarié-e-s, par le partage et la réduction massive du temps de travail.
Il s'agit là d'un but historique du mouvement socialiste: « travailler moins pour travailler tous et vivre mieux! »
Cette réduction du temps de travail prendra place à la fois sur l'ensemble d'une vie (nombre d'années travaillées) et sur la semaine concrète de travail (durée hebdomadaire du travail).
Dans le premier cas, la mesure qui saute aux yeux, et qui est très actuelle , est de permettre un départ à la retraite le plus tôt et dans les meilleures conditions possibles. Ajoutons que le développement d'un système de retraite par répartition (l'AVS) plutôt que par capitalisation (le deuxième pilier) permet également de réduire la sphère de la finance, ce qui amène à moins de crise boursière et plus de solidarité.
La réduction des années de travail passe aussi par la possibilité d'accroître les années d'études dans les meilleures conditions possibles pour le plus grand nombre. Le développement d'un système de bourses d'études dignes de ce nom devient une priorité.
Au-delà, il devient nécessaire de réfléchir à la possibilité pour les salarié-e-s de gérer leurs heures de travail au sein de la journée, de la semaine, du mois, de l'année, voire d'une carrière, tout en luttant contre la tendance patronale à « flexibiliser » les horaires de travail dans le sens contraire à l'autonomie des travailleur/se-s.
Quant à la réduction des heures hebdomadaires de travail, le temps est venu pour la gauche de reprendre la main sur ce sujet. Avec la récession qui s'annonce, et l'accroissement du chômage qui est malheureusement prévisible, la nécessité de réduire et partager le travail (sans baisse de salaire, bien sûr) se fait plus forte que jamais. Une réduction importante des heures de travail, avec maintien du salaire, signifierait concrètement une réaffectation des gains en productivité aux travailleur/se-s et donc, une compression significative de la part dévolue au capital. Une telle mesure suppose, bien sûr, de construire un rapport de force conséquent en faveur des salarié-e-s.
Une allocation des gains en productivité à la réduction du temps de travail plutôt qu'à l'augmentation de la production et des profits aurait également une conséquence très positive sur l'environnement. Elle signifierait que les développements technologiques permettrait de faire « mieux avec moins »: moins d'heures de travail et moins de ressources naturelles.
Avec la crise, la gauche, le mouvement syndical et le parti socialiste en tête, se retrouve dans une position relativement plus favorable. Les idées néo-libérales sont – temporairement en tout cas – discréditées. Il est plus que temps de réaffirmer avec conviction et fierté avec les ambitions historiques du mouvement ouvrier et du socialisme: la lutte démocratique contre l'exploitation et la domination capitaliste. A cette ambition s'ajoute désormais la nécessité écologique. Le partage et la réduction massive du temps de travail répondent à ce double impératif. A la gauche de présenter sa solution contre les crises du capitalisme.
PS: A cet égard, il devient urgent de (re)lire André Gorz qui a le mieux expliqué les enjeux sociaux et écologiques de la réduction du temps de travail. Un excellent petit ouvrage vient de sortir qui résume la pensée de Gorz: Arno Münster, André Gorz, le socialisme difficile, Paris, Nouvelles éditions lignes, 2008.