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Capitalisme et urgence climatique

Emma Sofia Lunghi •

En août 2019, les grévistes pour le climat adressaient leurs revendications à la place financière suisse: désinvestir des énergies fossiles avec l’objectif d’aboutir à zéro émission d’ici 2030. Pourtant en critiquant les investissements des assurances et des gestionnaires de fortune nulle part paraissait l’idée que le capitalisme était (et est toujours) problématique. Le fait que le mouvement ne soit pas en mesure de reconnaître que l’organisation capitaliste de la société et de la nature est responsable des changements climatiques est dramatique. De telles revendications conduisent à des réponses paradoxales comme la possibilité illusoire d’un «capitalisme vert».

Il est fondamental de se rappeler que le capitalisme était problématique bien avant que les changements climatiques ne soient visibles et qu’il continuera de l’être si au lieu de le remettre en question on se limite à trouver une solution circonscrite à la crise actuelle. Il ne peut être uniquement question de limiter nos émissions de gaz à effet de serre, car ce qui se passe démontre la nécessité de repenser le système dans lequel nous vivons, et cela par une réforme du travail, la redistribution des richesses, l’organisation démocratique de l’utilisation des terres, de l’eau, de l’énergie et la transformation de nos modes de vie. En outre, ces revendications doivent prendre en compte que nous ne sommes pas dans une situation égalitaire face à ces changements et qu’une réponse adéquate implique de garantir une forme de justice sociale. L’inégalité actuelle en revanche agit de telle sorte que les premières victimes du réchauffement du globe sont les populations les plus vulnérables: les classes populaires, les racisé·e·s, les exclu·e·s, les migrant·e·s et les pauvres.

Catastrophisme et urgence

L’idée que nous serions dans l’urgence afin de sauver «notre monde tel que nous le connaissons et l’aimons» (selon les mots de la lettre ouverte écrite par Climatestrike en octobre de cette année) est également problématique. Cette rhétorique de l’urgence pose un double problème: d’une part elle sous-entend que le monde actuel est satisfaisant et qu’il mérite d’être conservé; d’autre part elle implique que tous les moyens seraient légitimes afin de permettre ce sauvetage. Concernant ce dernier point, le discours catastrophiste est dangereux en ce qu’il véhicule la croyance que seul un comité d’expert·e·s technoscientifiques pourrait nous éviter l’apocalypse. Cette position, fondée sur une politique de la peur, légitime la mise en place d’un régime fondamentalement antidémocratique, sous prétexte que le peuple serait naturellement pollueur et incapable de penser le bien de la société. Or, la présence des grévistes dans les rues infirme ce postulat libéral en montrant qu’il y a bien une volonté démocratique de stopper la dégradation de notre environnement.

L’idée qu’il faudrait conserver le monde tel qu’il est actuellement, nie tout projet de transformation de la société, par le biais d’une idéalisation du passé et du présent, elle véhicule des valeurs conservatrices, voire réactionnaires. Alors que l’on attribue la dégradation de l’environnement au plaisir du présent, une grande majorité de la population travaille plus qu’elle n’a le temps de vivre de vivre ce présent. C’est justement à cause du système capitaliste que nous menons une vie de soumission au travail où la seule motivation est le miroitement d’un futur plus heureux.

Les changements climatiques doivent au contraire permettre de rompre avec cet imaginaire capitaliste. Aujourd’hui il doit paraître particulièrement futile de supporter des rythmes effrénés de travail en vue d’un futur prometteur, car si nous continuons comme ça non seulement l’avenir ne sera pas agréable à vivre, mais le présent continuera à ne pas l’être. Cessons alors de fantasmer sur le futur ou de le craindre, la réponse se trouve dans une transformation des sociétés présentes, en les rendant plus conviviales et égalitaires qu’elles ne le sont maintenant.

Cet article aurait dû paraître dans Pages de gauche n° 174, mais un autre article a malencontreusement pris sa place. Nous rétablissons donc ici la version qui aurait dû être publiée dès le départ, en nous excusant pour cette confusion.

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