Dès la législation d’application de l’initiative «contre l’immigration de masse» votée, l’UDC a immédiatement dénoncé une «trahison» du vote populaire par le parlement. Le parti a pourtant annoncé dans un même mouvement ne pas vouloir lancer de référendum contre cette loi, tout en menaçant de lancer une nouvelle initiative populaire sur les Accords bilatéraux avec l’UE. Nenad Stojanovic, ancien député PS au Grand Conseil tessinois et membre de la Commission fédérale contre le racisme, a, lui, décidé de lancer ce référendum tout en étant favorable à la solution adoptée par les chambres. Nous lui avons demandé pourquoi.
Pourquoi avoir lancé ce référendum?
Nenad Stojanovic: Pour deux raisons. Premièrement, nos relations avec l’Union européenne et la gestion de l’immigration, notamment dans la mise en œuvre du vote du 9 février 2014, ont été les dossiers politiques prioritaires en Suisse ces dernières années. Il est donc extrêmement problématique, dans un système de démocratie directe, que les citoyen·ne·s ne puissent pas en fin de compte se prononcer sur la solution «light» adoptée par le parlement et censée respecter l’initiative populaire «contre l’immigration de masse». Deuxièmement, si cette votation n’a pas lieu, nous laisserons à l’UDC, au Mouvement des Citoyens Genevois et à la Lega le champ libre pour crier contre «la classe politique» qui aurait «trahi le peuple», voire «violé la constitution» en n’appliquant pas à la lettre l’article constitutionnel accepté le 9 février. Plutôt que de laisser ces partis parler «au nom du peuple», il me semble préférable de laisser ce peuple s’exprimer lui-même.
Ce référendum ne présente-t-il pas plus de risques que d’avantages, puisqu’un refus ne peut jamais être exclu?
Pour la gauche, le lancement du référendum n’a que des avantages. Si nous n’arrivons pas à récolter les 50’000 signatures, un chifre qui correspond à 1% du corps civique, nous pourrons dire que le peuple a eu l’occasion réelle de signer le référendum. Si moins que 1% des citoyen·ne·s a souhaité signer le référendum, ce sera déjà une indication que la solution du parlement ne leur déplaît pas. Si nous rassemblons les signatures, ce qui est bien évidemment notre but, les chances de gagner le vote sont bonnes. La preuve, c’est que l’UDC est extrêment inquiète et ne veut pas ce vote. En fait, Blocher a déjà commencé à minimiser la portée de ce référendum en disant qu’il nous amènerait à voter sur «rien». Si au contraire la législation d’application est rejetée, nous saurons au moins ce que la majorité des citoyen·ne·s veut vraiment. L’UDC aura du mal à crier victoire, précisément car elle a minimisé l’importance de ce vote. Au niveau du contenu, les changements seront limités. Le Conseil fédéral élaborera une ordonnance qui sera peut-être un peu plus musclée que la solution actuelle mais qui ne mettra certainement pas en danger les Accords bilatéraux avec l’UE.
Comment reprendre la main, à gauche, sur les relations avec l’Union européenne?
En utilisant justement la démocratie directe au lieu de la laisser dans les mains de la droite nationaliste. Il faut que la gauche se réapproprie avec plus de convinction les instruments démocratiques, ce qui est d’ailleurs le mot d’ordre principal du congrès «Reclaim Democracy», organisé par le think-tank de gauche Denknetz du 2 au 4 février à Bâle.
Ta démarche n’est-elle pas purement tacticienne, comme on te l’a reproché?
Un usage «purement tactique» implique que la tactique est un but en soi. Ici, le but est de redonner un peu de clarté dans nos relations avec l’UE, après l’impasse créée par l’adoption de l’initiative «contre l’immigration de masse». Certes, il a y aussi un élément tactique: on est quand même dans le domaine de la politique et non pas de la chasse aux champignons! En particulier, il est important d’avoir ce vote, et de le gagner, avant que le camp pro-Bilatérales ne se casse la figure dans la votation sur l’initiative RASA. Quant au contre-projet à RASA, tout indique que la droite PDC-PLR-UDC va y renoncer. Donc il est tactiquement important de voter dès que possible sur la solution « light » qui, par ailleurs, requière seulement la majorité du peuple et non celle des cantons, comme c’est le cas de RASA ou d’un contre-projet éventuel.
La proposition d’Avenir Suisse de soumettre au référendum obligatoire les législations d’application d’initiatives populaires acceptées par le peuple et les cantons est-elle judicieuse?
Il serait en tout cas judicieux d’accompagner un tel changement d’une réforme plus vaste de la démocratie directe. Il faut en particulier trouver un mécanisme pour éviter qu’on puisse soumettre au vote des propositions qui ne sont pas applicables, à cause de contradictions avec d’autres normes constitutionnelles, avec les traités internationaux ou avec le droit international, notamment les conventions sur les droits humains (à moins que ces normes juridiques n’aient pas été dénoncées au préalable par le peuple lui-même). La transparence dans le financement des récoltes des signatures et dans les campagnes de votation est également urgente. Il n’est pas admissible que la démocratie directe soit de facto utilisable seulement par des personnes ou des organisations qui ont des ressources financières ou humaines importantes. Ce référendum m’a permis de découvrir le grand attachement à la démocratie directe qui existe chez des citoyen·ne·s «ordinaires», mais également les difficultés pratiques auxquels on est confronté lorsqu’on cherche à récolter des signatures avec des moyens financiers et personnels limités. J’invite donc celles et ceux qui partagent ma démarche à visiter le site www.referendum-subito.ch et à nous aider dans la récolte des signatures.
Propos recueillis par Antoine Chollet