10 ans des révolutions arabes : des femmes en première ligne

Antoine Chollet •

Avec les 10 ans des printemps arabes et de la chute de Zine el-Abidine Ben Ali et de Hosni Moubarak, Pages de gauche republie ce qu’il a écrit à l’époque. En mars 2011 (n° 97), le rôle prépondérant des femmes dans les mobilisations qui étaient en cours inspirait à Antoine Chollet une réflexion sur la présence des femmes arabes dans le processus révolutionnaire ainsi que sur la persistance des préjugés à leur encontre.


Un aspect a souvent été relevé dans les commentaires plus ou moins enthousiastes qui sont apparus à propos des révolutions arabes de ce début d’année: la présence massive des femmes dans ces mouvements. Tous les vrais mouvements sociaux font tout à coup apparaître sur la scène politique des personnes qui ne sont pas censées y être et se mêler des affaires communes. Les révolutions européennes ont vécu le même phénomène, des sans-culottes de la Révolution aux «pétroleuses» de la Commune de Paris en passant par les ouvrières·ers depuis deux cents ans ; les révolutions arabes n’y font pas exception. Cette insistance sur la participation féminine nous inspire deux commentaires.

Présence et retrait

Le premier, le plus important sans doute, c’est que cette présence évidente, impossible à ignorer, vient faire exploser une image complètement erronée mais fermement ancrée dans les pays européens, à savoir que la femme n’existerait pas dans les pays musulmans, en particulier en ce qui concerne les affaires politiques. On oublie évidemment que le très musulman Pakistan a eu une présidente bien avant la France (qui n’en a toujours pas eu, d’ailleurs…) ou la Suisse, que les femmes égyptiennes et tunisiennes votaient une quinzaine d’années avant les Suissesses, ou que l’IVG avait été légalisée en Tunisie quelques années avant de l’être en France, pour ne prendre que quelques exemples. Tout cela ne signifie pas que ces pays sont autant de paradis féministes débarrassés du patriarcat évidemment, mais devrait inciter à un peu plus de prudence lorsque les pays chrétiens veulent faire la leçon à leurs voisins musulmans sur les droits des femmes et sur l’égalité des sexes. Les révolutions de ces derniers mois et l’activisme politique très important des femmes tunisiennes et égyptiennes ont montré l’inanité de cette prétendue “avance” occidentale. Ne serait-ce que pour son impact symbolique déterminant, cet élément doit être salué. Il faut maintenant relever que cette activité politique semble avoir été suivie d’un retrait relatif, par exemple en Tunisie où le nouveau pouvoir ne compte pas une seule femme dans ses rangs. Cela montre une fois de plus que celles et ceux qui renversent un ancien régime ne participent pas forcément à la constitution du nouveau, surtout lorsque leur présence sur la scène politique est vécue comme une incongruité. Il y a des inerties que même une révolution de l’ampleur de celle que sont en train de vivre les pays arabes ne peut faire disparaître.

Pesanteur des préjugés

D’autre part, l’insistance mise sur cet aspect précis des révolutions arabes a permis, pour une partie de la presse européenne et américaine, d’une part de faire silence sur les revendications économiques et sociales des populations révoltées, et d’autre part de réhabiliter dans une certaine mesure cette différence entre pays chrétiens et musulmans dont nous parlions à l’instant. Qui songerait en effet à relever la présence de femmes dans des manifestations syndicales en Europe ou aux États-Unis et à lui donner un contenu politique spécifique? De la part de médias qui s’apesantissent toujours sur le “gouffre culturel” qui existerait entre les deux rives de la Méditerrannée, ce soudain engouement pour la participation féminine dans les rassemblements de Tunis, du Caire ou de Manama doit nous inciter à la méfiance. Il témoigne surtout du fait que ces médias n’ont guère abandonné leur grille de lecture traditionnelle, et n’ont fait que relever un écart remarquable entre cette dernière et la réalité. Il est malheureusement probable que cela ne suffise pas à transformer la grille elle-même.

Crédit image : « Tahrir Flags » par AK Rockefeller sous licence CC BY-ND 2.0.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 97 (mars 2011).

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