Entretien avec Stéphane Koch, président de l’Internet Society Geneva depuis 2001, impliqué depuis 1994 dans des projets en rapport avec la société de l’information.
Il effectue des missions de conseil et de formation notamment dans les domaines de la confidentialité de l’information et du risque informationnel. Il intervient aussi en tant que formateur au Centre suisse d’enseignement du marketing, de la publicité (SAWI), de l’Institut Suisse de Relations Publiques (SPRI) et des Hautes Ecoles Spécialisées (HES-SO).
Pourquoi l’espoir immense suscité par Internet semble lent à se concrétiser?
Bien que les communautés virtuelles puissent être des contre-pouvoirs, celui qui a la capacité financière suffisante est toujours en mesure de biaiser le débat et de monopoliser l’espace informationnel. Même si on assiste à un lent déplacement du centre de gravité informationnel et décisionnel des pouvoirs en place vers les citoyen-ne-s, Internet n’a fondamentalement pas renversé le rapport de force économique.
L’idéal philosophique des «autoroutes du savoir» bute-t-il aussi sur les contenus véhiculés par le Net, qui ont un caractère souvent commercial?
En partie en tous cas pour le Web visible, c’est-à-dire schématiquement, la partie des informations dont l’accès est le plus facile. Un Web invisible, plus tourné sur des relations de connaissances existe aussi, mais il est davantage noyé. Internet est un reflet de la société et en reproduit donc ses courants tacites. Sous couvert d’une démocratisation de la connaissance et d’un modèle participatif, se joue une forme de consumérisme dirigé.
Et Internet en mains américaines, cliché réducteur?
Evidemment! Il existe un vrai déséquilibre dans les questions de gouvernance par exemple, pas forcément lié à l’hégémonie américaine, mais plutôt au réveil tardif des consciences européennes face aux enjeux des technologies de l’information.
Si la Suède et le Danemark sont très avancés (entre 72 et 85% des ménages connectés); la Suisse, malgré son niveau de vie élevé, reste en retrait (60% des ménages connectés). Notre pays, traine au 22ème rang des pays ayant développé des projets d’«e-gouvernance». On peine à collaborer avec l’extérieur; une forme d’arrogance qui nous fait négliger le savoir collectif disponible sur le Net, comme ce qui s’est produit pour le projet d’«e-voting» à Genève.
Ceci dit, les USA défendent leur omnipotence. L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), chargée en bref de gérer le système des noms de domaine, est une société à but non lucratif, censée être internationale (80 gouvernements en son sein); elle n’en est pas moins sujette à une forte influence américaine.
En outre, une partie importante des infrastructures liées à Internet sont américaines: plus de la moitié des serveurs hébergeant les informations relatives aux noms de domaines (.com, .net, .org, etc.) sont sur sol américain, de même que les principales bases de données d’information (yahoo, msn, google et nombre de sources professionnelles). Alors, oui, les intérêts sur Internet sont encore majoritairement anglo-saxons.
Comment contrôler les contenus, valider la fiabilité des informations?
Les risques et les dérives sont importants, ce serait trop long de les aborder ici. Sommairement, la société ne colle pas aux avancées technologiques et le temps de latence, est, lui, exploité, bien plus souvent, par le côté sombre de la force (il rit). Le cycle de la révolution technologique est bien plus rapide que celui de la révolution sociologique. La surabondance de l’information disponible représente aussi une forme de censure moderne par la difficulté accrue d’accès aux informations voulues. Lors d’une recherche sur Google, si 1 mio. de résultats s’affichent, comment traquer les lacunes ou les fausses informations? Le trop plein est un écran de fumée évident. La seule recette, pas évidente, est de retrouver notre sens critique.
Et qu’en est-il des traces que nous laissons sur le Net?
Chaque information laissée sur la toile, consciente (blogs, coordonnées, profils) ou inconsciente (visites, commentaires, information en provenance de tiers) participe à la création d’une sorte de clone numérique de son identité. Par exemple, un moteur de recherche comme Google (utilisé par 70 à 80% des internautes) est composé de dizaines de milliers de serveurs répartis dans le monde. Chacun d’entre eux va stocker des copies des informations auxquelles il aura accédé, à travers un système de «robots» parcourant le Web 24h/24h. Le Net permet en fait de montrer ensuite un fragment d’un individu. Lorsque les départements des ressources humaines se renseignent sur un-e candidat-e, ils accèdent à lui, hors contexte, alors qu’une personne n’est pas seulement ce qu’elle exprime.
Un message à la fin?
Si l’on arrive à gérer correctement les aspects de sécurité, une nouvelle ère citoyenne peut s’ouvrir. Au risque d’entrer dans un délire utopique, je crois à la révolution anarchiste démocratique: si voter devenait aussi naturel que se moucher, si la signature numérique devenait un sceau à apposer, depuis son ordinateur ou son téléphone mobile, sur les pétitions et les référendums, la politique retrouverait toute sa représentativité. Il n’y a pas de danger à imaginer le futur, car malgré le potentiel de désillusion, il restera toujours la part du rêve.