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Un chacal dans le poulailler

Voici quatre ans que Christoph Blocher a intégré le Conseil fédéral. Quatre ans de ruptures de collégialité, de mépris des institutions, de fuites de décisions confidentielles… A la veille des élections fédérales, il est temps de se demander comment combattre l’influence toujours plus importante de Blocher dans le gouvernement et les médias.

Le 19 octobre 2003, ce que tout le monde craignait se produit. L’UDC obtient 26,7% des suffrages aux élections fédérales et gagne ainsi 11 sièges au Parlement. Devenu le plus grand parti de Suisse, il pourra obtenir ce qu’il a déjà tenté d’acquérir en 1999, un deuxième siège au Conseil fédéral. Le chantage commence alors. L’UDC annonce que son deuxième candidat sera Christoph Blocher. S’il n’est pas élu, le parti se retirera du gouvernement. On attend les critiques des autres partis, mais peu de voix se font entendre. La proposition semble être acceptable aux yeux du plus grand nombre. Le PRD abandonne son ancien allié le PDC qui risque de perdre un siège au profit de l’UDC, et même la présidente du PS, Christiane Brunner reconnaît la légitimité de l’arrivée d’un deuxième UDC au gouvernement. Le 11 décembre, les jeux sont faits, Blocher est élu, de peu, car le PS n’a pas accepté le chantage de l’extrême droite. Toutefois, même l’aile gauche du PS qui appelait au retrait des socialistes du Conseil fédéral adhère peu à peu à l’illusion que leurs conseillère et conseiller fédéraux ont encore une marge de manœuvre au gouvernement. Après tout, «c’est le peuple qui l’a voulu», se disent-ils/elles tout en essayant de se persuader que Blocher se soumettra aux règles de la collégialité.

Le dangereux provocateur

Durant la législature qui suit, ces illusions seront maintes fois démenties: ruptures de collégialité, fuites de décisions confidentielles, attaques des institutions suisses, violation du principe de séparation des pouvoirs. Christoph Blocher n’en fait qu’à sa tête. Ses méthodes s’imposent et instaurent une ère nouvelle au Conseil fédéral. Il les justifie par son prétendu amour de la démocratie, de la liberté d’expression et de la transparence; principes qu’il ne respecte pourtant pas lui-même lorsqu’il bafoue des décisions prises en votation populaire, conteste la liberté de la presse et s’immisce dans les affaires de ses collègues du gouvernement. Le conseiller fédéral n’hésite par ailleurs pas à se qualifier lui-même de «dangereux» dans Le Matin du 25 août 2007.

Un des exemples les plus frappants de non-respect des lois et décisions populaires est sa prise de position contre la norme antiraciste lors de sa visite officielle à Ankara. En défendant un historien et un politicien turcs ayant nié le génocide arménien sur territoire suisse, le Ministre de la Justice a accumulé les actes répréhensibles: rupture de collégialité, critique des lois de son pays, non-respect d’une décision prise en votation populaire en 1994.

Le prétendu porte-parole d’un peuple brimé

Comme après toutes ses attaques contre l’Etat de droit, des politicien-ne-s s’indignent et remettent en cause sa légitimité, mais aucune mesure concrète n’est prise pour éviter que cela ne se reproduise. Le conseiller fédéral, qui s’est autoproclamé porte-parole du peuple, n’est à aucun moment sérieusement mis en danger par celles et ceux qui le critiquent. Pire encore, en discréditant le fonctionnement des institutions et en remettant en cause leur légitimité, il s’impose dans les médias et incarne «celui qui ose s’attaquer aux véritables problèmes!». A mesure que ses méthodes et idées s’imposent au Conseil fédéral, le cloisonnement des départements s’accentue. Chaque membre du gouvernement joue de plus en plus en solo, n’hésitant pas à attaquer ses collègues et à se pavaner dans les médias. Toutefois, conscient-e-s que s’approprier la manière de fonctionner de Christoph Blocher reviendrait à la légitimer, les autres conseiller/ère-s fédéraux/ales continuent à défendre le principe de collégialité et à critiquer les dérapages du Ministre de la justice. Le Conseil fédéral ne devient alors plus qu’une addition de sept personnalités aux programmes et fonctionnements très différents, le mouton noir entraînant ses six brebis toujours plus partagées entre la tentation de jouer le même jeu que lui et la défense du fonctionnement traditionnel du gouvernement.

Les socialistes dans une impasse

Tout au long de ces quatre années de législature, Blocher a réussi à jouer un double jeu. Il se présente comme un conseiller fédéral brimé par ses collègues, un courageux politicien qui dénonce les vrais problèmes, mais que personne n’écoute. Dans les faits pourtant, c’est lui qui tire les ficelles, influence les décisions et impose ses projets. Il a, par exemple, exigé que les projets de Lois sur l’asile et les étrangers que Ruth Metzler avait présentés au Parlement, repassent devant les deux chambres dans des versions plus radicales.

Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire de se demander comment faire comprendre à la population que les problèmes de la Suisse sont les conséquences de la politique de la droite majoritaire. Pour cela, il ne suffit pas d’avoir des propositions pragmatiques et des personnalités charismatiques. C’est le réflexe du compromis dans lequel une partie de la gauche se complait qu’il faut remettre en question. Nous ne devons pas nous satisfaire d’un système qui cache les véritables rapports de force, car depuis quatre ans, Christoph Blocher utilise ses faiblesses pour accroître sa visibilité. Chef de file de la majorité bourgeoise du gouvernement, Blocher joue avec la population en usurpant l’étiquette du minoritaire du Conseil fédéral. Parallèlement, les socialistes défendent dans les médias les projets votés par la majorité de droite… Ce paradoxe est la cause de bien des confusions. Aujourd’hui, il est temps de faire un bilan de ce que certain-e-s appellent encore «l’opposition constructive des socialistes». La marge de manœuvre des conseillers fédéraux PS ne cesse de faiblir. Il est temps de se réapproprier les outils de la rupture de collégialité et de la menace de la sortie du Conseil fédéral. Malheureusement, si appeler les parlementaires à ne pas réélire le populiste et provocateur Christoph Blocher est une évidence pour la plupart des personnalités de gauche, réfléchir à notre réaction s’il est tout de même élu ne semble pas être d’actualité.

 

 

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