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Un avenir sans ouvriers? Structure des professions en Suisse

Depuis Marx, les sociologues s’intéressent aux changements de la structure de l’emploi: assiste-t-on à une prolétarisation ou va-t-on vers une structure des professions toujours plus qualifiée?

Les données à disposition pour ces quinze dernières années montrent qu’en Suisse, ce sont surtout les groupes professionnels hautement qualifiés qui ont enregistré la plus forte croissance. Sur le marché du travail, on trouve aujourd’hui 270’000 membres des professions académiques de plus qu’au début des années 1990. L’augmentation est presque aussi spectaculaire pour le groupe des dirigeants et cadres supérieurs dont la croissance a été de 30% durant la même période, de 198’000 à 257’000 (voir graphique ci-dessous).

En revanche, l’évolution a été moins favorable aux ouvriers. Tandis que le nombre des ouvriers et artisans qualifiés est resté pratiquement stable, celui des ouvriers et employé-e-s non qualifié-e-s a chuté de 24%. Selon la nomenclature de l’Office fédéral de la statistique, en 2006, seule une personne active sur quatre appartient à la catégorie des ouvriers au sens strict du terme (artisans et ouvriers qualifiés ainsi qu’ouvriers et employés non qualifiés, soit environ 820’000). Le groupe des ouvriers non qualifiés n’est toutefois pas le seul à perdre en importance. Le nombre des employé-e-s de type administratif diminue également: les chefs toujours plus nombreux semblent avoir besoin de moins de secrétaires et de réceptionnistes qu’il y a 15 ans. Les effectifs des auxiliaires de bureau ont chuté de 17% depuis 1992. En revanche, le personnel des services et de vente a progressé de 17%, de 460’000 à 540’000.

Polarisation plutôt que prolétarisation

La prolétarisation n’a donc pas eu lieu en Suisse. Au cours des années 1990, les ouvriers et employés peu qualifiés de l’industrie des machines, des arts graphiques ou du trafic des paiements ont été remplacés par des infirmières, des informaticiens ou des gestionnaires de fortune, mais aussi par des emplois dans le secteur des services peu qualifiés.

Ce constat général s’applique à l’ensemble les pays occidentaux, mais avec certaines différences. Des études réalisées pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne font apparaître une croissance très inégale de la structure des professions. Les emplois stables et correctement rémunérés dans le secrétariat ou l’industrie sont devenus plus rares. Parallèlement, de nouveaux emplois, souvent précaires, ont été créés dans le secteur des soins et de la santé, de la vente ainsi que dans les services personnels. Par conséquent, les études anglo-saxonnes parlent d’une polarisation de la structure de l’emploi, à savoir: une croissance soutenue dans les rangs des professions académiques privilégiées, un recul dans les professions du secrétariat et de l’artisanat, une faible croissance dans les services personnels.

Cette évolution de la structure de l’emploi a peu à voir avec la mondialisation, mais beaucoup avec le changement technologique et, dans le cas des Etats-Unis, l’immigration. Commençons par cette dernière. Une étude américaine montre qu’entre 1994 et 2000, environ 2.5 millions d’emplois ont été créés dans le bas de l’échelle professionnelle (soins, vente, restauration rapide). Pas moins de trois quarts de ces emplois sont occupés par des travailleurs d’origine hispanique. Les auteurs de l’étude en concluent que, sans l’afflux d’un grand nombre de travailleurs peu qualifiés, il n’y aurait pas eu, aux Etats-Unis, une croissance des emplois précaires aussi forte. Soit les homes et chaînes de restauration rapide n’auraient pas créé – faute de main-d’œuvre – autant de postes, soit ils auraient dû améliorer de manière significative leurs conditions de travail pour attirer la main-d’oeuvre nécessaire et, par conséquent, ces nouveaux emplois ne se seraient plus situés en bas de l’échelle professionnelle.

En plus de l’immigration, la technologie joue aussi un rôle central dans tous les pays occidentaux. Robots, machines et ordinateurs s’occupent des tâches répétitives qui, par leur caractère prévisible, sont facilement programmables. Cela concerne avant tout la production de biens ainsi que le traitement de données. Cependant, la technologie ne rendra jamais tout le travail peu qualifié superflu. Les ordinateurs échouent à effectuer des travaux impliquant l’aptitude à coordonner la main et les yeux – une spécialité des humains. Ainsi, un robot peut-il construire une voiture, mais pas nettoyer un appartement, laver une patiente ou servir un client. C’est pourquoi la thèse de la polarisation ne semble pas totalement erronée. À l’avenir, le nombre des managers et des scientifiques ne sera pas le seul à augmenter, celui des prestataires de services peu qualifiés en fera autant.

 

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