0

Sur le terrain, avec les travailleuses du sexe

L’association Fleur de pavé est présente dans le canton de Vaud et cherche à soutenir les travailleuses du sexe. Nous avons voulu en savoir plus sur son fonctionnement et son action. Interview avec Anne Ansermet-Pagot, coordinatrice de l’association.

Quelle est l’origine de Fleur de pavé?

L’association a été créée en 1996. A cette époque, la ville de Lausanne s’intéressait aux femmes toxicodépendantes qui se prostituaient. Il n’existait aucune structure à proximité des lieux de travail des personnes concernées, permettant d’assurer un suivi personnel, une aide ponctuelle ou de répondre à des problèmes de santé. Des enquêtes ont été effectuées auprès des femmes concernées et des permanences régulières ont été créées. En 1997, la période exploratoire s’est terminée, l’association s’est développée et ses objectifs se sont élargis. Il ne s’agit aujourd’hui plus de se concentrer seulement sur les femmes toxicomanes; ce serait discriminatoire et réducteur. Fleur de pavé a pour but d’offrir un espace d’écoute et de parole, de prodiguer des conseils juridiques et sanitaires pour toutes les travailleuses du sexe.

Comment mettez-vous en œuvre ce but?

Nous avons quatre domaines d’activités. Premièrement, le bus mobile, présent dans les rues où s’exerce la prostitution est à disposition des travailleuses du sexe cinq fois par semaine. Deuxièmement, Fleur de pavé organise l’action «Femmes aux Pieds Nus», initiée par l’aide suisse contre le sida. Des médiatrices formées en santé communautaire se déplacent dans les salons et les cabarets et rencontrent des travailleuses du sexe de la même origine qu’elles.

Troisièmement, l’accueil au bureau permet plus de discrétion. Ces rencontres permettent de discuter de problèmes personnels, médicaux, juridiques ou administratifs. Nous redirigeons aussi les femmes vers d’autres services et les accompagnons dans certaines démarches (par exemple en cas de violence).

Finalement, nous disposons d’une commission juridique. Deux avocat•e•s bénévoles sont à disposition pour des conseils juridiques en cas de problèmes précis d’une travailleuse du sexe, dans le cas de l’analyse d’une loi ou d’une démarche juridique.

Fleur de pavé est une association à bas seuil, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’exigence pour les personnes qui viennent à l’association (ni dossier, ni contrats, anonymat garanti…). Les travailleuses du sexe peuvent venir seulement pour prendre du matériel (préservatifs, lubrifiant, seringues stériles…) et discuter autour d’un café.

Et au-delà du travail de prévention?

L’association reçoit des subventions pour son travail de prévention – c’est sa mission principale. Il y a donc peu de travail de lobbying. Toutefois, l’association est connue dans le réseau social et médical. Elle est parfois sollicitée par des écoles spécialisées, des étudiant•e•s, des journalistes ou la police pour présenter l’association et les problèmes rencontrés par les travailleuses du sexe.

Vous vous adressez essentiellement aux travailleuses du sexe?

Fleur de pavé s’occupe de la prostitution féminine au sens large. Ceci comprend donc aussi les travestis, transgenre, etc. La prostitution masculine s’effectue à d’autres endroits et souvent de manière plus cachée. Pour l’instant, personne ne s’en occupe, ce qui est problématique…

L’association est à disposition de toutes les travailleuses du sexe. Mais dans les faits, elle a peu de contacts avec les Suissesses, qui ont facilement accès aux structures existantes ou avec celles qui pratiquent de manière occasionnelle.

Comment les travailleuses du sexe sont-elles intégrées dans le fonctionnement de l’association?

L’association Fleur de pavé travaille en parité. Cela signifie qu’elle n’est pas seulement composée de travailleuses sociales, mais que des travailleuses du sexe ou des femmes qui ont exercé ce travail dans le passé sont intégrées dans l’organisation de l’association, à tous les niveaux. Dans le cadre des permanences, ceci est une grande richesse car un message de prévention est beaucoup mieux écouté s’il est donné par des personnes qui vivent ou ont vécu la même réalité.

Que penser de la nouvelle loi vaudoise sur la prostitution?

Fleur de pavé a été intégrée dans le processus de création de cette loi, entrée en vigueur en 2004 et visant à mieux réglementer la prostitution. Cette loi a suscité beaucoup d’espoirs, mais dans les faits, elle a eu des conséquences négatives… L’application de la loi a eu deux types d’effets problématiques: sur les salons de massages, qui comprennent aussi les appartements individuels, et sur la prostitution de rue.

Dans le premier cas, il est désormais obligatoire de s’inscrire à la police du commerce et de se déclarer au propriétaire de l’immeuble où les travailleuses du sexe exercent leur activité. Ceci a posé des problèmes pour les travailleuses clandestines et des femmes en situation régulière se sont vues résilier leur bail lorsqu’elles demandaient l’accord de la régie.

Dans le cas de la prostitution de rue, le travail est autorisé dans un périmètre défini. Une partie de la rue de Genève a ainsi été interdite en raison de la proximité d’habitations. Les horaires ne sont pas libres non plus (21h à 5h en hiver, 22h à 5h en été!). Cela limite le temps de travail pour les travailleuses du sexe, qui ont vu les possibilités d’exercer se restreindre et de fait, leur revenu diminuer. D’autre part, lors des contrôles d’application de cette nouvelle réglementation, la police contrôle le statut de séjour. Le climat est donc tendu, les amendes et les ordres de quitter le territoire suisse nombreux… Etant donné que cette profession est principalement exercée par des personnes migrantes, elle est aussi dépendante de la législation sur l’asile et les étrangers, qui s’est durcie ces dernières années.

Dans le cas des femmes clandestines, si elles subissent des violences, il leur est très difficile de porter plainte. La légalisation actuelle stipule que durant le temps de l’enquête, elles peuvent obtenir un permis de séjour provisoire si l’enquête nécessite leur présence. Dans certains cas, la réparation financière pour tort moral et physique pour la victime tarde et les femmes ont déjà quitté la Suisse lorsque l’argent leur est versé! L’association se bat pour que les femmes puissent toucher en main propre leurs indemnités. Un retour avant l’indemnisation dans leur pays d’origine compromet gravement le fait qu’elles puissent toucher l’argent dû.

Et sur la suppression du permis L pour les danseuses de cabaret?

Avant la suppression récente du permis L pour les danseuses de cabaret extra-européennes dans le canton de Vaud, une certaine hypocrisie régnait quant aux conditions de travail de ces femmes. Les autorités fermaient les yeux sur la prostitution dans les établissements et les femmes concernées avaient des conditions de travail souvent catastrophiques. En 2006, les autorités se sont intéressées à la situation des artistes de cabaret. La plupart des femmes concernées travaillaient à 100% comme danseuses et ajoutaient à cela des activités de prostitution, ce qui posait un problème légal. Depuis la décision des autorités de supprimer le permis L, les contrôles ont augmenté. Si des activités de prostitution sont découvertes, le droit de cabaretier est supprimé. Mais dans les faits, les femmes ont continué leur travail de prostitution de manière plus cachée, dans des chambres d’hôtel par exemple, où elles sont moins protégées.

En 2007, les autorités ont décidé de supprimer le permis L pour les danseuses extra-européennes. Nous regrettons ne pas avoir été consultées et désapprouvons cette décision. L’argument utilisé par les autorités était de lutter préventivement contre la traite des femmes. Toutefois, la majorité des femmes concernées par cette décision est restée en Suisse et pour elles la situation est pire qu’avant, car l’activité est devenue clandestine et les femmes sont encore moins bien protégées… Fleur de pavé avait malheureusement peu de moyens de faire campagne.

La traite des femmes, telle que dénoncée par Amnesty est-elle un vrai problème?

Le problème de la prostitution est plus complexe que le phénomène de «traite des femmes» combattu par Amnesty. En Suisse, il y a relativement peu de situations connues d’exploitation massive de femmes. Il faudrait s’intéresser plus largement aux phénomènes d’exploitations familiales et aux problèmes des femmes clandestines en réfléchissant à l’aspect culturel et psychologique de ce type de migration. Beaucoup de familles des travailleuses du sexe, venues clandestinement, croient à l’eldorado européen et refusent que leur fille rentre au pays. Celle-ci leur envoie de l’argent qui leur permet de changer de statut dans leur pays, de scolariser les enfants, etc. La travailleuse du sexe peut difficilement casser l’espoir que sa famille a mis en elle et rentrer dans son pays d’origine.

webmaster@pagesdegauche.ch

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *