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Retour sur les mesures d’accompagnement

Dans cet entretien, Vasco Pedrina, ancien président du SIB, principal syndicat suisse,  revient sur les conditions qui ont amenés les syndicats à accepter les premiers accords bilatéraux. Vasco Pedrina est aujourd’hui vice-président de l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois. Il est aussi membre de la Commission tripartite fédérale en charge du dossier sur les mesures d’accompagnement.

PdG: Peux-tu nous rappeler quel était le contexte des accords bilatéraux de 2002, et l’état d’esprit des syndicats à ce moment-là?

Vasco Pedrina: Les accords bilatéraux entre l’UE et la Suisse, qui comprennent un volet relatif à la libre circulation des personnes, ont été négociés vers la fin des années 1990/début 2000. Le patronat et le gouvernement avaient tiré la leçon de la défaite sur l’Espace économique européen en 1992. A l’époque, ils avaient refusé d’accompagner la libre circulation des personnes par des mesures de protection contre le dumping social. La Suisse avait payé cher cet aveuglement, si on pense à ce qui s’est passé depuis avec le «blochérisme».

Dans une négociation tripartite au tournant de la décennie, nous avons mis au point les mesures d’accompagnement I. L’état d’esprit dans les rangs syndicaux était marqué d’un côté par une prise de conscience que la voie solitaire n’était pas une bonne chose, mais également par de fortes craintes que la libre circulation conduise à une pression vers le bas sur les conditions de travail. Dans un tel contexte, notre crédibilité comme syndicat était liée à l’efficacité des mesures anti-dumping social.

Justement, quelles mesures d’accompagnement ont été négociées?

En 1999/2000, dans le cadre des accords bilatéraux I, nous avons obtenu un premier train de mesures d’accompagnement comprenant la mise en place des commissions tripartites fédérale et cantonales, chargés de l’observation du marché du travail, de la réalisation des contrôles et de la prise de mesures contre le dumping salarial et, pour la 1ère fois en Suisse, nous avons obtenu des dispositions permettant de fixer des minimums salariaux légaux, via les contrats-types.

En lien avec les accords bilatéraux II, en 2005/06, nous avons réussi à obtenir une amélioration substantielle sous forme d’un 2e paquet de mesures, comprenant l’engagement de 150 inspecteurs, un assouplissement des dispositions permettant de rendre une CCT de force obligatoire générale, et une série d’autres mesures.

Pour le vote du 8 février prochain, un troisième ronde de négociations est en cours?

Oui, les éléments essentiels sont: une nouvelle augmentation du nombre des contrôleurs (env. 50), pour pouvoir accroître les contrôles, et un financement supplémentaire pour les commissions paritaires chargées d’une partie de ces contrôles; l’introduction d’une CCT pour le secteur du travail temporaire déclarée de force obligatoire; l’introduction du 1er contrat-type national, avec des salaires minimums légaux, pour l’économie domestique; et l’ouverture de négociations pour une CCT dans le secteur des entreprises postales privées.

Nous avons pu aussi obtenir des engagements pour que le Gouvernement ne cède pas aux pressions de l’UE visant à remettre en cause notre système protectif, et aussi pour qu’il n’utilise pas la révision de la loi sur les marchés publics pour introduire par la fenêtre des règles ouvrant la porte au dumping social.

Quels moyens sont utilisés pour faire pression sur les négociations?

Sensibilisation publique par la dénonciation des cas de dumping salarial, mobilisation des salarié•e•s, pression politique. L’affaire Sedrun en 1998 (mineurs sud-africains engagés à des salaires non conformes à la CCT sur les Transversales alpines) avait joué un rôle déterminant lors du 1er round; la première grande manifestation juste deux semaines après la naissance d’Unia en novembre 2004 avait poussé le Parlement à faire des concessions de dernière minute pour le 2e paquet de mesures anti-dumping. Et cette fois, c’est entre autres grâce à la pression exercée par le Congrès d’Unia d’octobre 2008 que nous avons pu obtenir une percée en ce qui concerne le contrat-type pour l’économie domestique ou l’introduction d’un système de cautions à payer par les entreprises dans le cadre des CCT.

Quel bilan, six ans plus tard, peut-on tirer à la fois de la libre circulation et des mesures d’accompagnement d’un point de vue syndical?

Si on compare notre système de protection avec ceux des autres pays européens, il ne fait pas de doute que nous disposons maintenant avec le Luxembourg du meilleur. A titre d’exemple, la «règle des 8 jours», qui impose aux entreprises étrangères d’annoncer 8 jours à l’avance avec qui, où et quand elles détachent leurs employés en Suisse, est la plus avancée. Or, dans la plupart des Pays de l’UE, cette règle est de 1 ou 2 jours seulement. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la Commission européenne dans les négociations en cours avec la Suisse exige un démantèlement de nos mesures protectrices.
Ceci dit, si on regarde ce qui se passe dans la réalité quotidienne, le dispositif existant n’exclut de loin pas les cas de dumping… surtout dans les cantons, qui ne font pas leur boulot, à savoir qui n’appliquent que partiellement le dispositif en vigueur.

Bien sûr, il faudrait encore obtenir tout le reste de ce que nous avons jusqu’ici revendiqué (comme par exemple une meilleure protection légale des délégué•e•s syndicaux/ales). Mais il n’y a pas à se faire d’illusions: tant qu’il nous faudra vivre dans un système capitaliste, nous aurons à nous battre contre des phénomènes de dumping social. Et ce n’est sans doute pas une politique de refus des accords bilatéraux, de voie solitaire, de réintroduction d’un système de contingentement de l’immigration (source de graves discriminations, comme notre passé l’enseigne!), qui constitue une alternative sérieuse. Notre système anti-dumping amélioré constitue une partie du remède. L’autre est le renforcement organisationnel des syndicats. Des syndicats numériquement forts et avec un solide réseau de personnes de confiance, assurant le rôle d’antennes sur les lieux de travail, voilà l’«assurance-vie» anti-dumping la plus efficace!

Propos recueillis par Romain Felli
 

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