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Quelle neutralité suisse pour la gauche?

Aujourd’hui, la gauche doit investir le champ idéologique de la neutralité – qui lui a toujours échappé – pour briser l’appropriation abusive de sa définition par les droites nationalistes et économiques. Mais elle doit d’abord défendre, en obtenant l’appui populaire, la mise en œuvre d’une politique étrangère s’articulant effectivement autour des principes de justice sociale, de solidarité, de protection de l’environnement et de démocratie. Seule la matérialisation de ces principes à travers le monde permettra l’épanouissement sans discrimination de chaque être humain, la réalisation du droit de chaque communauté à la prospérité dans le respect de sa diversité, la préservation du cadre de vie des générations futures et la coexistence pacifique des peuples. Or, aussi surprenant que cela puisse paraître, ces principes sont ancrés dans l’article 54 de la Constitution suisse depuis 1999. Cet article précise que la Confédération, par sa politique extérieure, doit s’attacher à préserver l’indépendance et la prospérité de la Suisse. Mais, elle doit aussi contribuer à soulager les populations dans le besoin, à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles.

Une neutralité active

Ces principes, qui sont ceux qui animent l’ONU, ne peuvent toutefois trouver un début de concrétisation que si la Confédération s’engage résolument au niveau international au coté des autres Etats. Sans visée hégémonique, sans potentiel de puissance et sans agenda stratégique caché, la Suisse dispose de la marge de manœuvre et de la crédibilité pour amener la communauté internationale à tenir ses engagements, à faire face à ses responsabilités et à réformer les instances qui le nécessitent, comme ce fut le cas de la Commission des droits de l’Homme. Cela implique une participation intense et active dans toutes les instances de l’ONU, y compris le Conseil de Sécurité et le Conseil des droits de l’Homme. Cette participation s’étend aussi à ses agences telles la FAO, l’OMS, l’OIT, l’UNESCO ou encore le PNUD qui définissent, coordonnent ou concrétisent l’action internationale dans les domaines fondamentaux. Cela oblige la Suisse à s’engager pour un fonctionnement plus transparent et plus démocratique des organisations internationales, comme pour la promotion et la création d’instruments, s’il le faut contraignants, permettant de garantir la mise en œuvre des politiques, sanitaires, sociales, environnementales et de sécurité à l’échelle planétaire. Aussi imparfaites que soient aujourd’hui l’ONU et ses agences, ce sont les seules institutions à caractère universel qui existent et qui permettent de développer une gouvernance planétaire. C’est en ce sens que la Suisse doit être active.

La Suisse, Etat construit avec des minorités culturelles, linguistique, religieuses et politiques, a appris – peut-être mieux que bien d’autres – le rôle essentiel du droit, et l’importance fondamentale de son respect. Malgré les contradictions de son histoire, la Suisse a le statut d’Etat dépositaire des Conventions de Genève ainsi qu’une perception aigue de la nécessaire primauté du droit pour assurer la coexistence pacifique des peuples et le respect de l’ensemble des civils comme de chaque individu. La Suisse s’est ainsi vu confier par la communauté des Etats, par les peuples en souffrance et par l’ensemble des défenseurs des droits des personnes civiles, une autorité juridique, mais aussi une référence morale, non seulement quant au respect des Conventions de Genève, mais plus largement quant au respect du droit international. La Suisse se doit aujourd’hui d’assumer pleinement ce rôle international qu’elle a d’ailleurs accepté de manière implicite à tout le moins.

L’action diplomatique helvétique à l’ONU est justement construite autour de ce rôle. La Suisse apporte ainsi au sein de la direction de l’institution tant du personnel hautement qualifié en droit public international, que des propositions institutionnelles notamment en matière de droits de l’homme, ou encore un savoir faire quant à la recherche de solutions de mise en œuvre du droit international.

Le rôle de la gauche

Dans cette perspective, la gauche se doit de rappeler sans relâche au Conseil fédéral la responsabilité et le devoir de la Suisse d’interpeller haut et fort et en tout instant, l’ensemble des acteurs – qu’ils soient des Etats, des entités non étatiques ou même des individus – la primauté du droit international et particulièrement la nécessité du respect du droit humanitaire. La défense de la primauté du droit, en toutes circonstances et sans double standard, est l’exigence pour une neutralité active permettant aux sujets de droit international les plus petits et faibles d’exister aux cotés des grandes puissances. Par ailleurs, cette défense doit prévenir toute dérive relativiste du droit, singulièrement du droit humanitaire dont certains Etats tentent de se prévaloir, à l’exemple des USA sur le statut des prisonniers.

Cette double dimension d’une Suisse engagée au sein de l’ONU et de ses agences spécialisées et gardienne de la pérennité du droit humanitaire et de la primauté du droit au niveau international, sont les éléments indissociables d’une neutralité que la gauche peut faire sienne et promouvoir. La matérialisation de ces principes n’est cependant pas chose simple et aisée, on en veut pour preuve l’attitude souvent incohérente du Conseil fédéral en cas de vente de matériel de guerre ou de matériel civil à vocation militaire, tel la vente des avions Pilatus au Tchad au bord de la guerre civile. La mobilisation d’une majorité de citoyennes et citoyens sur cette vision progressiste de la neutralité, en rupture avec les concepts de neutralité passéiste ou utilitaire, est nécessaire pour y parvenir.

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