Rosa Roux •
Ces dernières années, plusieurs procès pénaux très médiatisés (Mazan, Depardieu, etc.) ont révélé l’ampleur des violences psychologiques que peuvent subir les personnes plaignantes et leur entourage au cours de la procédure pénale. Ce phénomène est pourtant connu et théorisé depuis de nombreuses années par la victimologie et le concept est reconnu par le droit européen.
Depuis 2006, le Conseil de l’Europe définit dans une recommandation mise à jour en 2023 la victimisation procédurale secondaire comme étant la victimisation qui résulte non pas directement de l’infraction pénale, mais de la réponse apportée à la victime par les institutions publiques ou privées, et les autres individus.
Dans une société marquée par des rapports de pouvoir patriarcaux, racistes, classistes et sexistes, les personnes issues de minorités sont fréquemment jugées et moralisées de manière stigmatisante. Leur comportement, leur apparence, leur façon de s’exprimer font l’objet de critiques implicites ou explicites, tant au moment des faits qu’au cours des audiences. Elles peuvent également être confrontées, souvent sans leur consentement, à la présence de la personne qu’elles accusent, à des images ou à des témoignages particulièrement violents, rendant l’expérience judiciaire profondément traumatisante. Les victimes ou personnes lésées doivent ainsi faire face à un ensemble de préjugés véhiculés par la police, les avocat·e·s de la défense, les expert·e·s ou même les magistrat·e·s.
La victimisation secondaire s’exprime particulièrement dans les procès pénaux pour violences sexistes ou sexuelles, mais peut tout à fait exister dans toute procédure pénale impliquant des victimes. Ce terme se rapporte à la justice pénale uniquement puisque le statut de victime en tant que partie n’existe pas dans les procédures civile ou administrative, qui ne sont pourtant parfois pas moins violentes pour les personnes impliquées (on pense par exemple aux comportements agacés, parfois méprisants que peuvent avoir les juges et parties adverses face à des travailleuses·eurs non représenté·e·s en audience aux Prud’hommes).
Le cas de la Suisse
Dans la procédure pénale suisse, il existe certains garde-fous permettant de protéger les victimes durant la procédure : elles peuvent notamment solliciter le huis clos de l’audience, demander à ne pas être confrontées directement au prévenu, ou encore refuser de répondre à des questions portant sur leur intimité, notamment en cas d’infractions à caractère sexuel. La loi sur l’aide aux victimes (LAVI) leur offre un soutien complémentaire, sous forme de conseils, d’assistance psychologique et juridique.
Pourtant à chaque étape de la procédure pénale, des failles persistent, pouvant entraîner une victimisation secondaire. Cela peut passer par un·e policier·ère posant des questions déplacées lors du dépôt de plainte, d’un·e expert·e indépendant·e dont le rapport reflète des biais sexistes ou racistes, ou encore d’un·e juge demandant à une victime de violences conjugales pourquoi elle n’a pas quitté son agresseur après le premier coup. Même des détails apparemment anodins du fonctionnement judiciaire peuvent s’avérer profondément violents : par exemple, une victime contrainte de patienter dans la même salle d’attente que la personne mise en cause, alors même qu’elle avait obtenu le droit de ne pas être confrontée à celle-ci.
La LAVI présente elle aussi certaines limites. Les prestations offertes varient sensiblement d’un canton à l’autre. De plus, ce soutien n’est pas toujours conçu pour répondre à des besoins à long terme. L’accès aux services reste également difficile pour certaines populations, notamment les personnes migrantes ne maîtrisant aucune langue nationale, ou les personnes LGBTQIA+, pour qui les dispositifs peuvent se révéler peu adaptés.
En audience lors d’un procès pénal, on oppose la partie demanderesse à la partie défenderesse. Une partie accuse, l’autre se défend des allégations proférées à son encontre. L’objectif est de convaincre intimement la·le juge de la culpabilité ou de l’innocence du prévenu. Les représentant·e·s défendent leurs client·e·s et font usage de tous les moyens légaux à leur disposition pour ce faire. La loi sur la profession d’avocat·e, le code suisse de déontologie ainsi que les lois procédurales posent des limites à ce qui peut être dit ou fait par un·e avocat·e. Toutefois, la législation en vigueur accorde une grande latitude aux avocat·e·s dans leurs plaidoiries, en particulier à l’oral. Cette liberté, bien que conçue pour garantir une défense efficace, peut parfois être exercée de manière excessive, au détriment des victimes, qui peuvent en ressortir revictimisées ou traumatisées.
Des procédés alternatifs
De tout évidence, la structure même du procès pénal, fondée sur une opposition rigide entre les parties, limite toute possibilité de dialogue réel. Ce cadre conflictuel rend difficile l’élimination complète des risques de victimisation secondaire. En droit suisse, le statut de victime est loin d’être simple ou neutre : y recourir implique souvent des conséquences lourdes, tant sur le plan émotionnel que procédural, pour celles et ceux qui souhaitent faire valoir leurs droits, et ce, malgré les ressources à disposition telles que la LAVI. On comprend dès lors qu’on renonce à déposer plainte ou à dénoncer une infraction.
Dans cette perspective, des approches complémentaires, comme la justice restaurative, offrent une alternative intéressante. En créant un espace sécurisé de parole et d’écoute, elles permettent aux victimes d’être reconnues dans leur souffrance et aux auteurs ou autrices d’infractions d’assumer leur responsabilité de manière plus directe. En Suisse, l’AJURES (Association pour la Justice restaurative en Suisse) propose des conseils en la matière ainsi que des médiations assurées par des bénévoles pour toute personne qui souhaiterait participer à un tel procédé. À la condition que toutes les parties (victime, prévenu) acceptent la médiation, celle-ci peut avoir lieu en tout temps. Elle ne remplace par contre pas le procès pénal et son résultat ne lie pas les juges.
Illustration: Tribunal d’arrondissement de Lausanne, site officiel de l’État de Vaud.