Après la débauche de moyens observée aux dernières élections, il est nécessaire de réfléchir à des solutions, tels que le plafonnement des dépenses de campagnes.
Les élections fédérales ont montré une débauche de moyens financiers sans précédent. Avec des dépenses globales estimées à environ 50 millions, un palier quantitatif vient d’être franchi. La répartition des moyens reste invariablement asymétrique. Plusieurs comptages attribuent à l’UDC une bonne moitié des dépenses. Selon ces sources, PDC et PS auraient chacun dépensé un dixième de ce magot, les Radicaux étant un peu mieux dotés, et les Verts un peu moins bien.
Dans une campagne, le matraquage publicitaire constitue un outil efficace. Il permet de s’affranchir des médias. Ainsi, la fameuse campagne des moutons n’a décollé qu’au moment où l’UDC a pu placarder ses troupeaux sur les murs, alors que sa conférence de presse fut un flop. Le même scénario s’est répété avec la théorie du complot contre Blocher: dix jours d’annonces non-stop ont permis d’imposer le sujet. Du reste, si le matraquage publicitaire n’était jamais efficace, l’UDC n’aurait pas investi autant, car elle sait calculer.
L’argent n’est pas tout
A ce stade du débat, il faut relever que l’argent n’est pas tout, comme le montrent les contre-exemples suivants:
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Avec un bon message et un peu de vent arrière de la part des médias, les Verts ont pu progresser sans disposer d’un gros budget.
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L’argent ne remplace pas le fond du message: les Radicaux avaient le deuxième plus gros budget, mais un message inaudible.
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Le PS vaudois a pu progresser avec un des budgets les plus modestes: fr. 150’000.- au total pour le Conseil national et le premier tour du Conseil des Etats. Le soussigné n’a personnellement dépensé que 600.- au total pour sa campagne: 370 courriers et l’hébergement de son site web. Inversement, certaines sections alémaniques avaient des budgets de l’ordre du million et leurs candidats disposaient de comités personnels, ce qui ne les a pas empêchés de perdre parfois 30 % de leurs sièges.
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La gauche et les cantons ont torpillé le paquet fiscal avec 2,5 millions, alors que les partisans disposaient de 23 millions.
Le fait que certains partis dépensent leur argent de manière inefficace ne doit cependant pas occulter le risque de distorsion de l’argent dans une campagne, lorsque celui-ci est dépensé efficacement.
Dérives et remèdes
Au-delà de l’inégalité des chances, la course aux budgets de campagne comporte des risques importants: surenchère pour le financement et risque de corruption;dérive ploutocratique: la politique peut être achetée par des milliardaires; forte exposition des partis politiques et des élus aux pressions des lobbies. Ces derniers n’hésitent plus à financer les campagnes des partis et des personnes en échange des services rendus. Le constitutionnaliste Tiziano Balmelli parle à juste titre de «dégradation des processus démocratiques». Il poursuiten soulignant que «les formes de propagandes de nature purement commerciale étouffent le débat public sur les problèmes de société et les propositions de solution(…)».
Trois solutions
Pour y remédier, trois solutions sont envisageables:
1. La transparence du financement des partis et des lobbys. Le Conseil National a récemment rejeté mon initiative parlementaire dans ce sens par 78 voix contre 60. Ce score serré montre que les partis du centre ne sont plus complètement insensibles au problème. Cette solution ne résoudrait cependant pas forcément la question de l’inégalité des chances: si le ou les milliardaires qui financent l’UDC assument leur position, l’inégalité demeure. J’avais tenté la voie de la transparence parce qu’il s’agit de la restriction la plus légère des droits fondamentaux. Son application aurait permis de démasquer les lobbys. Il restera cependant difficile de trouver une majorité, car les Radicaux craignent de perdre leurs meilleurs donateurs, et de s’affaiblir encore un peu face à l’UDC.
2. Le plafonnement des dépenses de campagnes. Cette solution a le mérite d’empoigner frontalement le problème. Les expériences étrangères et les travaux de Tiziano Balmelli montrent qu’elle est tout à fait praticable, du moins à partir du moment où les listes électorales sont déposées. Moyennant quelques dispositifs anti-contournement, le système marche. Cette solution pourrait s’avérer plus attrayante pour le PRD et le PDC, car elle garantit un rééquilibrage face à l’UDC. Les discussions en marge de mon initiative sur la transparence m’ont montré au centre-droite une certaine ouverture à ce propos. C’est donc une voie à poursuivre. Quantitativement, il faudrait limiter les campagnes à un total national global d’environ 5 millions par parti, ce qui correspondrait environ aux campagnes PS et PDC. La limitation des budgets de campagnes deviendrait en tous les cas indispensable si la publicité politique était autorisée à la télévision. Par le biais de l’accord MEDIA avec l’UE, ce risque semble malheureusement devoir se concrétiser.
A relever que le plafonnement des dépenses de campagnes désamorce en partie le problème de la transparence: s’il n’a pas de besoins financiers trop élevés, un parti peut plus facilement se permettre de refuser les contre-parties exigées par certains bailleurs de fonds. C’est donc un gage d’indépendance.
3. Un financement étatique qui aille au-delà de celui attribué actuellement aux groupes parlementaires pour leur secrétariat scientifique. Cette solution n’a cependant pas que des avantages: primo, elle n’apporte rien si elle n’est pas combinée au plafonnement des dépenses. Secundo, elle peut avoir un effet pervers, à savoir celui d’obliger les lobbies à surenchérir pour «acheter» les partis. Tertio, elle implique une certaine forme de cartellisation et accroît l’inertie de la vie politique, car les partis établis en retirent un avantage. Si elle se fait au prorata des rapports de force existants, elle contribue à figer ces derniers, ce qui n’est pas souhaitable.