PLR et UDC: libéraliser et nucléariser

Bertil Munk •

En 2017, la Suisse vote contre toute nouvelle construction de centrales nucléaires et pour une sortie de cette énergie. Aujourd’hui, l’exploitation de Beznau est déjà prolongée et les chambres fédérales sont en passe de revenir sur l’engagement pris il y a à peine huit ans. Ce changement stratégique majeur risque de converger avec un changement non pas moins dangereux: une participation complète au marché européen de l’électricité.

Pour nos libéraux-conservateurs, ces deux projets permettront d’assurer un meilleur approvisionnement énergétique ainsi qu’une accélération de la décarbonation. Le contraire est pourtant bien plus probable. Le refus suisse de libéraliser son marché de l’électricité en 2002 n’est pas complètement étranger à la mauvaise presse des pannes de courant récurrentes en Californie de l’année précédente. Celles-ci résultaient de manipulations de marché et font directement écho à ce que l’ancien conseiller national Christian van Singer disait à l’époque: «On peut constater qu’une fois le marché libéralisé, les producteurs s’arrangent entre eux pour laisser s’installer la pénurie. Cela leur permet d’augmenter prix et bénéfices. Et une situation de pénurie rend citoyens et politiciens sensibles aux arguments du lobby nucléaire qui vante les grandes quantités d’électricité que de nouvelles centrales nucléaires pourraient produire.»

Dernièrement, la droite espagnole a joué à ce jeu après la panne massive de la péninsule ibérique survenue fin avril. Elle a blâmé le manque de nucléaire sur le réseau, ce qui est pourtant depuis largement démenti. Sans connaître les causes précises de l’événement [un «phénomène de surtensions» ayant entraîné «une réaction en chaîne» de déconnexions en serait à l’origine, selon un rapport espagnol publié mi-juin], nous pouvons cependant soutenir avec certitude que face à de tels risques, il serait préférable de pouvoir mieux planifier la production et d’assurer de meilleurs investissements publics sur le réseau de distribution.

Le Conseil fédéral n’entend pas les choses de la même manière. L’accord sur l’électricité négocié avec l’UE sur lequel nous devrions voter d’ici 2027 prévoit deux mécanismes perfides. Premièrement, chaque consommatrice·teur pourra choisir librement son fournisseur. Cela diminuerait la marge de manœuvre des Services industriels dans leurs soutiens aux renouvelables en les mettant en concurrence avec des fournisseurs moins regardants. Ces services publics seront d’autant plus fragilisés par la deuxième mesure prévoyant de reprendre les règles de l’UE relatives aux aides d’Etat.

Ensuite, le programme d’allègement budgétaire 2027 prévoit des coupes significatives dans le domaine: réduction de 45% du budget de SuisseEnergie, 25 millions en moins pour la recherche de l’administration (qui concerne en grande partie l’énergie) et suppression des subventions pour la planification énergétique communale et régionale. Vouloir relancer en parallèle des projets nucléaires pharaoniques qui coûteront bien plus que budgété et prendront bien plus de temps qu’estimé (dans tous les cas pas avant 2040) est symptomatique d’une cynique schizophrénie.

Augmenter la part de l’électricité dans le mix énergétique paraît comme une évidence. La consommation élevée d’énergies fossiles doit être rapidement remplacée par une plus grande production électrique renouvelable. Les pompes à chaleur en sont l’exemple typique: une substitution propre à un besoin vital (se chauffer). Leurs consommations élevées expliquent en partie l’augmentation prévue, passant de 60 térawatt-heure (TWh) actuellement à un niveau compris entre 68 et 80 TWh d’ici à 2050. Une politique active de nouvelles constructions photovoltaïques, éoliennes ou hydrauliques sera à même de répondre à cet impératif.

En revanche, nous devons rapidement faire le choix de renoncer collectivement à certains besoins qui eux sont à des années lumières d’être vitaux. Les meilleurs exemples sont d’actualité: l’IA et la blockchain. L’Agence internationale de l’énergie estime que d’ici 2026, leur consommation énergétique atteindra 590 TWh. En répondant à l’interpellation 24.4422 du PLR Thierry Burkart, le Conseil fédéral n’exclut pas d’autoriser les géants du numérique à produire leur énergie par le biais de petits réacteurs modulaires (PMR) pour alimenter leurs centres de données.

Face à ce devenir effrayant, une forme de sobriété choisie devient urgente. Celle-ci sera toujours préférable à une pénurie contrainte due à la dépendance au fossile et au nucléaire. En 2022, la France n’a pas seulement fait face au manque de gaz, mais aussi à l’arrêt forcé de certaines de ses centrales en raison de sécheresses. Le phénomène risque bien de se reproduire.

Illustration: Caricature de Christian Vullioud pour le numéro 4 de Pages de gauche, septembre 2002. Non à la Loi sur le marché de l’électricité (LME)

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