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L’information à l’épreuve du blog

La vague déferlante des blogs est en train de modifier la perception de l’information. Tout le monde serait journaliste dès lors qu’il a la possibilité de communiquer. C’est faire bon marché d’une exigence de base du métier, la vérification des sources.

A l’heure de l’individualisme forcené, le blog est devenu l’une des manières les plus simples et directes pour tout un chacun de poser un orteil sur la place publique. La blogosphère est ainsi peuplée de milliers de pages personnelles qui n’ont souvent d’autre fonction que de parler du nombril de leur auteur, tout en dévoilant ses lacunes en orthographe. Mais au moins permet-elle à des gens snobés par les moyens de communication traditionnels de trouver un exutoire.

Les lecteurs-reporters

A l’opposé, pourrait-on dire, l’espace numérique est aussi le lieu de prédilection d’analystes, spécialistes ou passionnés de tout poil (voire de journalistes), sur des thèmes allant de la politique locale à l’élevage des drosophiles ou à la cuisine au beurre. Leurs blogs servent parfois de référence.

Mais certains stratèges des médias font un pas de plus en établissant un lien entre le blog et l’information de type journalistique. La confusion commence avec la question si souvent entendue: la presse est-elle menacée par les blogs? Sous-entendu: qui a encore besoin des journalistes maintenant que tout le monde peut l’être? Le premier pas est en train d’être franchi: si on écrit/photographie pour son blog, pourquoi pas pour la presse?

Le quotidien gratuit 20 minutes propose déjà à ses lecteurs de devenir ses «reporters» et le Bild allemand a fait un fond de commerce de ses «Leser-Reporter». Coïncidence, des médias font paraître des offres d’emploi pour des postes de journalistes sans exiger l’inscription au registre professionnel (RP). Or le RP représente un garde-fou important car il est lié au respect de la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, qui dicte un certain nombre de principes, le premier étant «de rechercher la vérité en raison du droit qu’a le public de la connaître».

Selon la police…

Tout le monde connaît la formule rituelle, «la manifestation a réuni 20 000 personnes selon les organisateurs, 5000 selon la police». Les chiffres changent, le principe demeure: le message ne révèle son vrai visage que si on est capable d’en identifier l’origine. L’identification des sources est donc l’une des règles cardinales de la profession, avec la vérification de l’information elle-même.

L’intérêt des blogs (ou leur nuisance potentielle) est justement lié à la possibilité ou non de savoir d’où ils sortent, et quel est leur éventuel agenda caché. Idem pour les reporters-lecteurs. Pour l’instant, les informations proposées par les lecteurs sont «vérifiées par la rédaction», avertit 20 minutes. Et les photos? Un photographe de presse est aussi un journaliste, qui connaît et respecte, en principe, des règles déontologiques.

Info et intox

Reste le blog comme source d’information, pour le public et pour les journalistes eux-mêmes. Le blog n’étant qu’un avatar d’internet, les mêmes problèmes s’y retrouvent. L’année dernière, pour la première fois, la majorité des étudiants de l’école de journalisme de Lille, en France, ont déclaré avoir comme unique canal d’information leur ordinateur, autrement dit internet. Laissons de côté la question de savoir si le fait de se limiter à ce média, ou plus souvent aux trois premières pages de Google, n’est pas un oreiller de paresse. Cela en dit long sur les changements drastiques que la toile a opérés sur la pratique professionnelle. Mais cette dernière demeure soumise à la même règle d’or de la vérification des sources, quel que soit le support. Internet, par sa richesse et sa facilité (apparente) de recherche est même plus délicat à traiter, car l’intox y côtoie l’info sur pied d’égalité.

On ne compte plus par exemple les sites de fondations ou d’instituts divers qui, sous couleur d’information (notamment scientifique) distillent la pensée de groupes de pressions, pas toujours faciles à débusquer. Spécialistes du genre, l’industrie du tabac, du pétrole, de l’agro-alimentaire, des pharma. Qu’il s’agisse de blogs, de forum ou de sites, Internet fourmille de tels pièges. Le journaliste, qui s’est engagé à «ne publier que les informations, documents et images dont la source est connue de lui/d’elle; ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels» a donc comme fonction fondamentale de valider cette source.

Alors le blog, expression populaire à prendre en compte? Oui, comme le café du Commerce, dans le sens le plus respectueux. Source d’information? Oui, comme le café du Commerce. Le journalisme est un métier qui a ses exigences, et le fait qu’elles soient de moins en moins strictement appliquées ne devrait pas ouvrir les portes à l’amateurisme, mais au contraire provoquer un sursaut d’indignation dans la profession. On l’attend toujours.

webmaster@pagesdegauche.ch

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