La gauche, par définition, ne peut pas compter sur le puissant soutien financier des milieux économiques. Elle compte donc avant tout sur ses militant-e-s et ses élu-e-s. Mais l’intérêt qu’elle porte à ses mandataires lui a fait perdre de vue ce qui doit rester son objectif prioritaire: un élargissement de sa base.
Commençons par quelques poncifs qu’il est bon de rappeler… Si, à droite, les partis sont qualifiés de «bourgeois», ce n’est pas par un heureux hasard lexical.. En Suisse, le bien nommé «bloc bourgeois» s’est formé au début du XXe siècle: une coalition des partis de droite dont le ciment était clairement l’anti-socialisme (au sens large) et la sauvegarde des intérêts de l’économie capitaliste que le mouvement ouvrier s’était promis d’abattre. Ce n’est donc pas un lieu-commun que de dire aujourd’hui que les partis de droite sont les partis de «l’économie»; ceux-ci le sont par définition.
La gauche sans base?
Dans le rôle de challengers, les partis de gauche. Ne pouvant pas compter sur l’appui des milieux économiques, il leur reste deux principales options pour remplir les caisses: s’appuyer sur leurs membres et sur leurs élu-e-s, ce que fait par exemple le PSS à hauteur de 85% de son budget. Mais l’équilibre entre ces deux sources de financement est difficile à trouver, notamment en raison de la faiblesse numérique des partis de gauche. Le Parti du Travail revendique 2’000 membres, les Verts 6’000 et le PS 35’000. C’est bien peu par rapport aux 85’000 moutons de l’UDC, aux 100’000 du PDC et aux 120’000 du PRD (chiffres de la Confédération selon les estimations des partis, 2007). Certes, il faut prendre ces chiffres avec circonspection, notamment ceux du PDC et du PRD qui sont surévalués. En effet, ceux-ci distinguent mal «membres» et «sympathisants». Mais, même avec des estimations revues à la baisse pour les partis bourgeois, le PS arrive très loin derrière le plus mauvais élève de droite. Comment comprendre que la deuxième force politique de Suisse soit aussi celle qui possède la base la plus faible? Cette constatation pose évidemment des problèmes politiques en termes d’assise locale et de force de mobilisation mais elle pose également des problèmes éminemment financiers. A priori, on pourrait croire que les partis de gauche demandent un effort plus important à leurs membres vu l’importance qu’y revêtent les cotisations dans leur financement. On détiendrait alors la raison de leur faiblesse numérique: une sélection par le porte-monnaie. Ce serait oublier que les cotisations y sont calculées en fonction du revenu. Une personne à faible revenu ne paiera pas plus au PS qu’à l’UDC (dans le canton de Vaud, 50.- environ).
Mon royaume pour un siège
La raison est peut-être à chercher sur une autre ligne du budget, celle de la contribution des mandataires. Les partis de gauche demandent un effort important à leurs élu-e-s. C’est particulièrement vrai pour le PS qui possède la plus forte insertion dans les différents organes du pouvoir; celle-ci fait des mandataires les principaux bailleurs de fonds du parti et donne une autre dimension aux campagnes électorales… L’enjeu n’est plus seulement politique, il est financier. Cette dépendance contraint le PS en particulier, mais la gauche en général, à concentrer son effort à l’égard des campagnes électorales car un recul électoral peut avoir des incidences graves sur les finances. Cet effort, force est de constater qu’il se fait au détriment d’un effort envers un élargissement de sa base. Par exemple, si le parti socialiste lausannois perdait un siège à la Municipalité, cela représenterait une baisse de 6% de son budget (chiffres du PSL). Autre exemple, l’éviction d’A Gauche toute du Grand Conseil genevois et la perte de deux sièges au Conseil national, l’un à Genève, l’autre dans le canton de Vaud, grèvent sérieusement le budget de la gauche de la gauche. Qu’en serait-il si l’effort se portait sur le recrutement d’une base plus large? Imaginons que le PSS arrive à hisser le nombre de ses adhérent-e-s au rang du plus mauvais des partis de droite (le PDC qui, selon les estimations les plus pessimistes ne rassemblerait que 75’000 membres). Imaginons ensuite que ces nouveaux membres paient tous la cotisation minimale de 55.-. Cette estimation, minimaliste, représenterait plus de deux millions de francs. Quant aux plus petites formations, combien de membres leur faudrait-il trouver pour compenser la perte de un ou deux sièges?
Think global, act local nous dit l’UDC
On peut défendre l’idée que la victoire de l’UDC aux dernières élections s’est construite sur une «campagne nationale» que l’on oppose au «régionalisme» des autres partis. Ce serait oublier que ce parti a incroyablement étendu son implantation, jusqu’à revendiquer la création d’une nouvelle section par semaine lors des dix dernières années. Ce chiffre est, comme tout bon chiffre donné par l’UDC, sans doute biaisé mais il permet une constatation: une campagne nationale se construit en complémentarité avec une bonne assise locale. Accroître cette assise devrait être la priorité de la gauche, à plus forte raison puisqu’elle place au cœur de ses préoccupations la défense de la majorité d’une population qui ne récolte que les miettes du grand banquet néolibéral. De plus, accroître la part des militant-e-s dans le financement des partis, c’est se débarrasser de toute dépendance. Car si les partis de droite dépendent des milieux économiques, les partis de gauche, eux, dépendent de leur insertion dans un système qui reste très majoritairement bourgeois. Reste à ne pas faire de la recherche de nouveaux adhérent-e-s une fin en soi. Le PS français en a fait la cruelle expérience. Après une vaste campagne de recrutement pré-électorale reposant sur «l’effet Royal» (+70’000 membres), la gueule de bois post mai 07 est difficile et les défections de ces nouveaux militants très nombreuses. (Libération, 22 octobre 07). Mener une campagne de recrutement ne peut pas se faire autour de personnalités ou de quelques slogans, elle doit se faire autour d’un programme alternatif et progressif qui permette aux sympathisant-e-s de gauche de s’investir dans un parti qui leur offrira plus qu’une course aux voix lors du prochain raout électoral.