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Les limites de la nouvelle gestion publique

Entretien avec David Giauque (professeur de ressources humaines et de gestion publique à la Haute Ecole Valaisanne)

PdG: Depuis plus de vingt ans, les employés du secteur public ont subi de fortes pressions en raison des coupes budgétaire et des réformes de la nouvelle gestion publique. Quels sont les principaux axes de ces réformes?

DG: Schématiquement, on peut dégager trois axes principaux en Suisse. Tout d’abord, les coupes budgétaires drastiques ont touché l’ensemble des services de l’administration. Il est frappant de constater que ces coupes étaient généralement linéaires, sans fixation de priorités. La difficulté de cibler certaines économies tient en grande partie au gouvernement de consensus qui compose les exécutifs, d’où la difficulté à faire des choix et à cibler les mesures d’économies. Deuxièmement, la Suisse est allée très loin dans la réforme de la gestion des ressources humaines pour se rapprocher de ce qui se fait dans le secteur privé, avec notamment la suppression du statut du fonctionnaire au niveau fédéral et dans de nombreux cantons. Même si le droit public a été maintenu, on s’est clairement rapproché des pratiques du privé, avec l’introduction d’évaluations à la performance et des formes de rémunération au mérite. La Suisse est d’ailleurs souvent citée en exemple par l’OCDE en matière de réforme de la fonction publique. Enfin, le troisième axe concerne le développement des contrats de prestations et l’octroi d’une plus grande autonomie aux services administratifs.

Quels impacts sur le personnel et les prestations offertes? Peut-on parler d’une détérioration à ces deux niveaux?

DG: On constate un fort malaise parmi les employés du secteur public. Le bilan des réformes est très mitigé. Le personnel a souvent l’impression d’avoir «hérité du pire des deux mondes»: du secteur privé, d’une part, avec une plus grande précarité et flexibilité, une individualisation des rapports de travail au niveau de l’évaluation ou du salaire, et du secteur public, d’autre part, avec la persistance d’un contrôle administratif fort, une rigidité organisationnelle ainsi qu’une augmentation massive des actes administratifs. Ces deux dimensions contradictoires contribuent à un fort malaise parmi le personnel. Ce malaise a été exprimé par la démission de P. Hablützel, directeur de l’Office fédéral du personnel, et de sa vice-directrice M. Bottinelli en 2005. Leur décision était motivée par la perte de repères et le manque de compréhension des réformes de la part du personnel de la Confédération. Depuis l’élection de Ch. Blocher et H.-R. Merz au Conseil fédéral la myopie sur les résultats financiers et l’efficience productive semble s’être accentuée, de sorte que les recettes du privé apparaissent comme la seule voie imaginable dans la gestion du personnel public d’où un renforcement du malaise dont j’ai fait référence auparavant au niveau fédéral. 

Qu’en est-il au niveau des prestations?

DG: Il est difficile de mesurer l’évolution des prestations. On ne peut pas parler de détérioration, de manière générale. Mais ce qui est pervers dans la «managerialisation» de l’administration publique c’est de perdre de vue les objectifs centraux des politiques publiques et donc des prestations offertes au nom de la réduction des coûts. Il y a une déconnexion croissante entre les prestations offertes et la logique politique des réformes. Cela se traduit particulièrement avec l’hypocrisie du slogan «faire plus avec moins»: on maintient les objectifs de service public et des prestations tout en réduisant les ressources pour les réaliser. Il est clair que cette contradiction n’est pas tenable à moyen terme, car toutes les charges supplémentaires pèsent sur un personnel encore réduit. Cela contribue à ce malaise parmi les employé-e-s.

Quelles pistes pour définir un service public exemplaire? Comment motiver les employés du service public?

DG: A ce propos, il me paraît clair qu’on ne peut plus défendre l’ancien système du statut du fonctionnaire et que des changements étaient nécessaires, notamment une professionnalisation de la gestion des ressources humaines. Mais, l’application des critères du privé, comme les rémunérations à la performance ne sont pas adaptés au secteur public. L’aspect monétaire, même s’il est important, n’est pas décisif pour la motivation du personnel du secteur public. Il faut miser sur d’autres incitations que le seul aspect financier. Nos enquêtes ont fait ressortir que la motivation pour la réalisation des objectifs du service public constitue une dimension très importante auprès du personnel. La valorisation des missions du service public constitue donc un élément d’incitation non-négligeable, sur lequel il faut mettre l’accent.

Comment tenir compte des attentes des usagers?

DG: A ce propos, il faut souligner que nos enquêtes ont montré que les fonctionnaires sont tout à fait ouverts aux réformes, notamment la prise en compte des demandes des usagers. Mais, les mesures de réformes au nom de la nouvelle gestion publique se sont largement faites sans concertation et sans implication des employé-e-s et avec pour principal objectif de faire des économies. Elles ne permettaient pas de prendre en compte leur connaissance du terrain et leurs compétences. Ce sont souvent des consultants extérieurs qui arrivent à des solutions clefs en mains. Une véritable démarche participative impliquant à la fois le personnel ainsi que les usagers aurait permis une meilleure acceptation et concrétisation des réformes, prenant en compte à la fois les besoins des usagers et le savoir des employé-e-s, même si cela devait coûter plus cher.

Pour aller plus loin:

Vient de paraître un ouvrage collectif sur les désordres de l’esprit gestionnaire, qui traient des différentes conséquences de l’introduction de la nouvelle gestion publique dans différents secteurs de l’administration publique: Marie-Dominique Perrot et al. (2006). Ordres et désordres de l’esprit gestionnaire. Où vont les métiers de la recherche, du social et de la santé? Lausanne: Réalités sociales, 256 p.

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