Mélanie Rufi •
L’austérité, réponse classique du néolibéralisme aux crises du capitalisme, crée un climat politique facilement exploitable par les mouvances d’extrême droite et contribue à la fascisation de la société.
Parmi les nombreuses images décourageantes qui ont marqué 2024, on peut compter l’apparition sur scène d’Elon Musk brandissant une tronçonneuse offerte par Javier Milei et représentant ses coupes prévues du budget fédéral. Ce moment illustre deux tendances marquantes de notre époque, d’une part la montée en puissance des forces d’extrême droite, et de l’autre le recours accru aux mesures d’austérité pour réduire les dépenses publiques. Ces deux tendances ne coexistent pas par hasard : l’austérité favorise directement le succès électoral des partis d’extrême droite.
Alors que le capitalisme inflige crise sur crise à la population, l’austérité affaiblit le maigre rempart qu’est l’État providence. Elle entraîne un démantèlement des services publics, des infrastructures, des prestations sociales et des subventions. En résultent des conditions de vie en détérioration constante pour une large partie de la population, alors que d’autres en profitent pour s’enrichir. La confiance est rompue avec le gouvernement et les partis conventionnels, orbitant autour du centre, qui risquent alors d’être punis électoralement. Et dans ce climat d’insatisfaction, auprès d’une population à la recherche de solutions alternatives, l’extrême droite s’impose.
La pente glissante du mérite
La stratégie actuelle de l’extrême droite repose entre autres sur l’exploitation du mécontentement général généré par le capitalisme pour diffuser un discours raciste et xénophobe érigeant l’immigration comme bouc émissaire, et les régions frappées par l’austérité sont plus réceptives à ces idées. L’austérité est un outil clé du capitalisme néolibéral : elle promeut un État réduit et une compétition entre les individus pour mériter des ressources limitées.
Ces mêmes idées se fondent ensuite parfaitement dans les discours d’extrême droite, dans lesquels la prétendue compétition pour les ressources opposerait d’un côté les méritant·e·s – en large majorité les ressortissant·e·s nationaux·ale·s – qui contribueraient à la richesse de la nation, et de l’autre les personnes qui profitent du système, notamment les demandeur·euse·s d’asile et toute personne étant perçue comme vivant “ au crochet ” de la société. Le racisme implicite derrière cette image du “ contributeur ” et de la “ contributrice ” n’est pas nouvelle, la participation fiscale ayant par exemple été utilisée dans le Sud états-unien après la Guerre de sécession comme euphémisme pour défendre les intérêts des propriétaires blancs sans devoir faire référence à la race. Plus récemment en France, le slogan “ C’est Nicolas qui paie ” illustre cette rhétorique selon laquelle les revenus de la classe moyenne blanche seraient aspirés par l’État pour les reverser à des personnes moins méritantes, notamment des jeunes racisé·e·s.
Porte ouverte à la fascisation
Ces discours trouvent un terreau fertile dans les démocraties libérales à bout de souffle. Aux États-Unis par exemple, seuls 28% de la population s’estiment satisfait·e·s par la démocratie. L’accroissement des inégalités pousse les citoyen·ne·s à chercher d’autres candidat·e·s à soutenir, mais les discours alarmistes sur la mauvaise santé des budgets nationaux rendent peu crédibles les propositions de gauche basées sur la redistribution. La perspective d’augmenter l’imposition des personnes les plus fortunées est aussi peu encourageante, les ultra-riches pouvant menacer de faire disparaître des emplois en s’exilant vers des horizons plus cléments.
Umberto Eco, en cherchant à décrire le fascisme, explique que celui-ci naît de la frustration populaire, notamment celle causée par les crises économiques. Le mécontentement lié à une crise empirant lorsque des mesures d’austérité sont prises, ces politiques contribuent ainsi à la montée du fascisme. De plus, en asséchant les finances de la recherche et de l’éducation, l’austérité ouvre la porte à l’anti-intellectualisme (voir aussi l’article p.14). Nous ne nous étonnons donc pas que l’UDC, parti d’extrême-droite fascisant, encourage de telles coupes budgétaires et, alors que les États-Unis sombrent dans l’autocratie conservatrice, qu’il appelle à « plus d’Elon Musk » dans la politique budgétaire suisse.
Illustrations: image de Vienne entre 1926 et 1935, Collection du Wien Museum
