Peu de principes ne sont aussi étroitement attachés à la Suisse que celui de la neutralité. Pourtant, la Suisse n’est pas le seul petit pays européen à s’être déclaré neutre. Afin de préserver leur indépendance face aux grandes puissances, en particulier durant la guerre froide, plusieurs pays (Suède, Autriche, …) ont adopté un statut de neutralité. Derrière la notion générale et floue qui implique une volonté de non-engagement, il existe différentes manières de la pratiquer. La simple référence à la «neutralité», brandie de toutes parts, masque les enjeux de la politique étrangère.
Des enjeux politiques derrière un concept mouvant
La Suisse acquiert son statut de neutralité en 1815 à la signature du Traité de Vienne. Néanmoins, la politique de neutralité a pris des contenus très variables selon les pays. Comme le montre l’analyse historique, la neutralité en Suisse a connu de fortes variations au cours du siècle en fonction des contextes historiques et des enjeux internationaux. Le principe de neutralité a largement été instrumentalisé par les partis politiques, et surtout par les milieux économiques, afin de maintenir des échanges commerciaux dans le monde entier sous couvert de neutralité.
Aujourd’hui, l’UDC s’est approprié le thème de la neutralité et promet même une initiative populaire en 2007. Elle se retranche derrière la neutralité pour s’opposer à toute ouverture et maintenir une politique isolationniste. Aux côtés de l’Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), l’UDC fait son «beurre» politique en mettant en avant le cas particulier suisse et la nécessité de ne pas s’engager dans les affaires du monde. Pourtant ce sont ces mêmes milieux bourgeois ou leurs prédécesseurs qui ont entretenu des relations d’affaires fructueuses avec l’Allemagne nazie ou le régime d’apartheid d’Afrique du Sud.
La gauche peut-elle rester neutre?
De son côté, la gauche a toujours eu des difficultés à définir une position cohérente sur la neutralité. Pourtant, elle ne doit pas laisser le monopole du discours à l’UDC. La droite a su habilement tirer parti de cette notion efficace parce que floue. Loin du repli nationaliste ou du «Sonderfall», la gauche doit rappeler qu’elle est d’abord internationaliste. Comment pourrions-nous rester neutres face aux horreurs du siècle? Comment pourrions-nous ne pas afficher notre solidarité avec les plus démunis, où qu’ils se trouvent dans le monde?
La force du mouvement ouvrier a été de créer des solidarités au-delà des frontières nationales pour lutter contre un ennemi commun: l’exploitation capitaliste. A l’aube du XXIème siècle, il est temps de réinventer les modalités de cette solidarité internationale.
Au niveau institutionnel, la volonté de Micheline Calmy-Rey de développer une «neutralité active», c’est-à-dire basée sur la défense des droits humains et le respect du droit international, est un pas dans le bon sens. A moyen terme, l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne pourrait constituer le levier d’une participation à l’élaboration d’un nouvel ordre mondial plus juste, si l’UE cesse de n’être qu’un marché pour devenir un acteur politique.
Au-delà, la solidarité internationale doit se marquer dans des actions concrètes. La fusion mondiale des syndicats est un exemple, qui pourrait encourager des mobilisations transnationales, plus efficaces encore que celles du mouvement altermondialiste. Mais la solidarité internationale, c’est aussi l’engagement au quotidien des militant·e·s de gauche pour aider celles et ceux qui sont victimes de la violence, au Sud comme au Nord. A cet égard, la mobilisation en faveur des réfugié·e·s et sans-papiers est une lutte exemplaire. Face à l’inacceptable, la neutralité n’est que le synonyme de la lâcheté.