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Les CCT en Suisse: du «modèle de fin de série» au renouveau

Cibles régulières d’attaques de la part du patronat, les CCT ont reculé dans les années 90… avant de trouver un second souffle.

En Suisse, la récession du début des années 1990 a marqué la fin d’une longue période d’amélioration graduelle des conditions du travail. En 1991, après une décennie de réduction du temps de travail et d’augmentations salariales substantielles, le patronat suisse commençait à douter des avantages du partenariat social. Pour une frange importante des employeurs, les conventions collectives du travail (CCT) étaient devenues un fardeau qui entravait l’ajustement rapide des entreprises aux fluctuations du marché. Cette désaffection était relayée par le président de l’Association patronale suisse de l’époque, Guido Richterich, qui qualifiait en 1992 la CCT de «modèle de fin de série». Le désamour patronal se reflétait dans l’évolution du nombre d’employé-e-s soumis à une CCT. Dans la première moitié des années 1990, ce nombre diminuait constamment pour n’atteindre plus que 1.214 million d’employé-e-s en 1996. Tributaires de la désindustrialisation – entre 1991 et 1997, l’industrie des machines et la construction perdaient un quart de leurs emplois –, les CCT semblaient condamnées à s’appliquer à une partie de plus en plus minoritaire du marché du travail.

 

Les raisons du renouveau des CCT

Or, à la fin des années 1990, la tendance se renversait et, depuis 1999, les CCT n’ont cessé de regagner du terrain. Le nombre de salarié-e-s qui en bénéficiaient en 2005 est ainsi supérieur de près de 10% à ce qu’il était en 1991. Pour la moitié des employé-e-s suisses, les conditions de travail sont régies par une CCT. Ce renouveau impressionnant des CCT s’explique par trois raisons. La première est que, depuis l’abandon du statut des fonctionnaires de la Confédération et de la plupart des cantons, des CCT sont désormais négociées également dans le secteur public. Au niveau national, les employé-e-s de la Poste, des CFF et de Swisscom profitent ainsi depuis 2000 également d’une CCT. Au niveau cantonal, les CCT régissent depuis quelques années les conditions de travail aussi bien des hôpitaux bernois et zougois que des transports publics soleurois et saint-gallois, ainsi que des crèches genevoises. Ce phénomène doit concerner environ 100’000 personnes.

La deuxième raison est que, depuis une dizaine d’années, les syndicats suisses ont commencé à investir davantage de moyens dans l’organisation collective du secteur tertiaire privé. La start-up syndicale unia – fondée en 1996 par le SIB et la FTMH – a ainsi réussi à obtenir la signature de nouvelles CCT dans les services privés tels que la vente aux niveaux cantonal (Genève, Neuchâtel, Tessin) et municipal (Delémont, Lausanne), les shops des stations d’essence, les blanchisseries ou pour les assistant-e-s en pharmacie.

La troisième et dernière raison est liée à l’introduction de la libre circulation des personnes avec l’Union européenne. Dans ce contexte, les associations patronales et les syndicats des secteurs tournés vers l’économie intérieure avaient un intérêt commun à régler leurs conditions de travail dans une CCT étendue à toute la branche. Le but était d’obliger les entreprises étrangères qui détachent des travailleurs-euses en Suisse à respecter les mêmes conditions. Cet argument a probablement joué un rôle dans la signature des CCT des secteurs de la sécurité privée ou du nettoyage en Suisse alémanique, deux conventions qui ont force obligatoire pour toute la branche. Elles participent ainsi à la tendance à la hausse du nombre des CCT de force obligatoire. Si, en 1995, la Suisse ne connaissait que 14 CCT déclarées de force obligatoire par la Confédération ou un canton pour l’ensemble des entreprises d’une branche, ce nombre a quadruplé et était de 64 en 2006.

Les changements dans le contenu normatif des CCT

Si le « modèle de fin de série » de la CCT semble de toute évidence vivre un deuxième printemps, qu’en est-il du contenu normatif des CCT ? Le plus grand changement concerne les salaires. Pendant les années 1990, le patronat suisse a réussi à déplacer les négociations salariales du niveau de branche à celui des entreprises dans plusieurs conventions telles que celle des banques, de la chimie bâloise ou des arts graphiques. De plus, la suppression de la compensation automatique du renchérissement dans de nombreuses CCT a accru l’autonomie des entreprises en matière de fixation des salaires. La décentralisation est ainsi allée de pair avec une individualisation croissante de la politique salariale.

Mais si l’étendue des négociations salariales collectives a été réduite dans plusieurs branches, les salaires minima conventionnels sont devenus bien plus importants pendant les dix dernières années. D’une part, suite à la campagne syndicale contre les bas salaires, les salaires minima ont été augmentés entre 1998 et 2004 de plus de 35% dans de grandes CCT comme celles de l’hôtellerie et restauration, de Migros ou de Coop. D’autre part, dans le contexte de la libre circulation des personnes, en 2004 des salaires minima ont été introduits pour la première fois dans la CCT de l’horlogerie et, de manière indirecte, dans celle de la chimie bâloise. Les CCT constituent donc toujours un pilier central de la définition des conditions de travail en Suisse.

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