Le Régime chinois doit désormais tolérer des espaces de résistances spontanées, forcé qu’il est – dans la perspective des Jeux Olympiques essentiellement – d’offrir une image positive et assagie de la «légalité socialiste».
Pourtant, la réalité nous fait comprendre à la fois combien rien n’a changé dans ce pays et combien les résistances internes au pays se trouvent exacerbés dans ce deuxième "Grand Bond en Avant". Avec plus de 85’000 manifestations reconnues par le pouvoir à travers le pays pour l’année 2005 (dix fois plus qu’il y a dix ans) et même à l’échelle chinoise, c’est une petite révolution qui se déroule sous nos yeux.
Peur du peuple
La Chine affronte actuellement trois types de résistances. Le premier est constitué des velléités autonomistes des minorités ethniques – dites "nationalités" – qui se sont souvent opposées à la volonté d’unité du pays au cours de son histoire. Le Tibet et le Xinjiang (extrême ouest de la Chine) sont les plus connus pour leur résistance au "colonialisme" chinois, et ont su, au mieux, rallier la sympathie et la solidarité internationale. Cette situation est la même pour les mouvements religieux comme la Falun-Gong ou la communauté chrétienne grandissante, qui sont condamnés par le Parti à la clandestinité, et qui ont su se créer des réseaux internationaux de soutien. Le deuxième type de contestations se cantonne surtout aux campagnes, aux villes de moyenne importance et plus généralement aux régions périphériques. Elles concernent l’extrême pauvreté et les inégalités, ainsi que la corruption et l’arbitraire qui régissent les rapports entre population et pouvoir local. Ces «jacqueries» sont réprimées violement, les potentats locaux en appelant souvent à l’armée. Le pouvoir central ne laisse, ici comme ailleurs, aucune possibilité à des structures de résistance organisées de se développer. Cette paranoïa de l’Etat chinois de voir apparaître un mouvement structuré ne date pas de Tien-an-Men et des événements de 1989, où des étudiants réclamant plus de libertés s’étaient vus rejoints par une classe ouvrière se plaignant de l’inflation et de son faible revenu. Mais elle est aujourd’hui partagée par tous les courants internes au Parti, qui se refuse à créer une quelconque ouverture dans la société civile. C’est cette mentalité d’assiégés qui régit aujourd’hui l’évaluation par le pouvoir de l’étroite marge de liberté (ou plutôt de défoulement) laissée à la population pour s’exprimer.
Zones urbaines
Si aujourd’hui dans les villes, les manifestations ne sont pas immédiatement réprimées par la force, c’est à la fois pour des raisons techniques et idéologiques. Avec 150 millions de "mingong" – ces travailleurs nomades issus de la campagne –vilipendés et sans aucune protection sociale, les villes chinoises sont devenues de véritables bombes à retardement sociales. Leur développement incontrôlé, émaillé d’expulsions sauvages et du transfert de l’habitat populaire en dehors des centres, a créé une large population de laissés-pour-compte de la croissance, qui ne peut qu’assister à l’avènement d’une nouvelle classe moyenne et à l’opulence des plus grosses fortunes. La classe moyenne commence elle aussi à contester le manque de protection offert aux locataires, l’augmentation des impôts ou de la criminalité. Elle est également à la pointe des contestations liées aux problèmes de salubrité et d’environnement. Elle se retrouve ainsi en phase avec une classe ouvrière qui commence à réclamer une revalorisation des salaires, l’avènement d’un revenu minimum ou d’horaires réguliers. Même les Zones Economiques Spéciales – sorte de zone franche dans lesquelles les multinationales investissent massivement – ne sont plus épargnées par des mouvements d’ouvriers mécontents, malgré le chantage à l’emploi pratiqué par les multinationales et leurs sous-traitants.
Solidarité
La contestation naissante du milieu ouvrier chinois – et plus largement de sa population – est loin de révéler l’aube de la démocratie en Chine. Mais c’est paradoxalement par la voie légale – le Syndicat unique n’étant présent que dans 30% des entreprises alors que la représentation des ouvriers est légalement obligatoire – que pourrait peut-être voir le jour une véritable plate-forme réservée aux revendications des travailleurs. C’est donc par un travail de pression sur les entreprises internationales pour appliquer ce principe de représentation et de protection du personnel de leurs fournisseurs que le consommateur comme le militant européen pourrait influer l’avènement de ce syndicalisme «sauce aigre-douce».