La rédaction •
Avec la sortie du numéro 194 de Pages de gauche dont le dossier est consacré à la fiscalité, Pdg publie en libre-accès la conclusion de ce dernier afin d’en donner un aperçu. Pour recevoir le numéro en entier et soutenir une presse de gauche indépendante, abonnez-vous!
Face aux impôts, la droite a toujours eu une attitude ambivalente. Au niveau individuel, elle encourage chacun·e à payer le moins d’impôts possible, par des moyens légaux ou illégaux (quitte à n’en faire qu’un péché véniel, comme c’est le cas en Suisse où l’évasion fiscale n’est pas condamnée pénalement). Au niveau social en revanche, elle juge l’impôt absolument nécessaire, non seulement pour assurer certaines tâches (en particulier régaliennes : police, armée, justice), mais, surtout, pour solvabiliser l’État. Celui-ci remplit en effet une fonction économique déterminante au sein des économies capitalistes, puisqu’il contracte des dettes dont le remboursement est précisément assuré par sa capacité à lever des impôts (d’où l’importance d’un financement suffisant des fonctions régaliennes).
La conception des impôts à gauche est évidemment totalement différente. Pour elle, les impôts servent deux objectifs principaux. Le premier est l’entretien des biens communs et le financement des services publics (à la fois leurs dépenses de fonctionnement et les investissements nécessaires à leur exécution). Cela concerne l’ensemble des activités que la collectivité a décidé de réaliser, de la santé et des écoles jusqu’à l’existence d’un système judiciaire, de l’entretien des routes, des transports publics ou des lieux de détente jusqu’aux subventions au monde de la culture. La liste n’est évidemment pas fermée puisqu’elle dépend des décisions de la collectivité, ce qui signifie aussi que les impôts ont un rapport étroit avec l’existence d’une démocratie.
La deuxième finalité de l’impôt pour la gauche est son potentiel redistributif. S’il est déjà partiellement rempli par des services publics offerts à tou·te·s, mais financés de manière progressive, il l’est aussi par des transferts de plusieurs natures, qu’il s’agisse de bourses d’étude, de subsides divers (par exemple, en Suisse, à l’assurance-maladie) ou de revenus garantis (aide sociale ou autre). L’impôt ne sert donc pas seulement à couvrir des dépenses, mais vise aussi à réduire les inégalités de richesse au sein d’une société, au moment à la fois de la perception et de la redistribution, ce qui est une autre manière de renforcer son caractère démocratique.
Les incitations que l’imposition permet de mettre en place, reposant la plupart du temps sur des déductions fiscales, appartiennent en revanche à une approche de droite. Dans cette logique, on réserve certaines activités aux personnes les plus riches, tout en leur offrant de nouveaux moyens d’alléger leur facture fiscale. Sur ce plan, l’ordre des choses doit être inversé : une conduite que l’on cherche à favoriser doit être subventionnée de manière égalitaire ou offerte gratuitement par l’État, en la finançant par l’impôt.
L’impôt permet donc de soustraire un certain nombre d’activités ou de secteurs à la logique marchande : en offrant des services publics universels, en monopolisant certaines fonctions en mains publiques, en redistribuant une partie des richesses accumulées sur le travail d’autrui, en constituant une fonction publique qui obéit à d’autres logiques de travail que le salariat des entreprises privées, etc. Que toutes ces activités prennent place au sein d’une économie capitaliste et soient absolument indispensables à sa survie n’amenuise en rien leur caractère subversif ; il suffit de voir l’acharnement constant de la droite contre les impôts pour comprendre que l’on tient là l’un des sujets qui la distinguent le plus clairement de la gauche.
Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 194 (hiver 2024-2025).
Crédit image: Thomas Bruchez