Le «non» irlandais représente une occasion unique de quitter la voie élitiste et peu démocratique que prend l’Europe. A condition de se poser les bonnes questions…
Après les échecs populaires de la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas, les dirigeants européens, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, pensaient avoir trouvé une solution à la crise: un traité «simplifié» reprenant le contenu de la Constitution, à ratifier uniquement par voie parlementaire. Le bon peuple européen – français et hollandais du moins – n’ayant pas mesuré l’importance des enjeux, il s’agissait de faire son bien malgré lui. Les Irlandais ne l’ont pas entendu de cette oreille. Le 13 juin dernier, par quelque 53% des voix, ils ont refusé ce traité constitutionnel européen, dit traité de Lisbonne. Contrairement aux autres Etats, l’Irlande avait été contrainte de soumettre le texte à un scrutin référendaire, en vertu de sa Constitution.
Un refus salutaire
Cet échec retentissant est peut-être salutaire. Un tel traité n’a trait qu’à des aspects institutionnels de l’Union européenne et n’a au final que peu d’impacts concrets sur les citoyens et citoyennes européens. Il réveille cependant au sein de la population – à tort ou à raison – les craintes d’une Europe élitiste, se construisant par le haut et négligeant les intérêts des plus démunis. Ces interrogations diverses ont toutes cela en commun – qu’elles concernent de près ou de loin la question de la participation démocratique. En tant qu’Irlandais, Tchèque ou Polonais, se sent-on écouté – et entendu – à Bruxelles et Strasbourg? Ou perçoit-on l’Europe comme une machine technocratique et bureaucratique, seulement bonne à étancher la soif des lobbys? Petite revue de quelques questions qui fâchent.
L’Europe institutionnelle en crise
Malgré quelques réformes au cours de ces dernières années, le Parlement dispose toujours de compétences fort limitées. Si l’Europe veut se doter de structures analogues à celles d’un Etat fédéral, avec davantage de procédures de vote à la majorité comme le prévoit le traité, elle doit également s’en donner les moyens. Cela passe avant tout par une représentation populaire digne de ce nom, incarnée par un Parlement fort. Le désintérêt caractérisé pour les élections parlementaires européennes dans les pays membres témoigne de la faible influence politique de celui-ci. Chacun sait que les décisions politiques importantes se prennent au Conseil des Ministres.
Un raisonnement analogue peut être tenu au sujet du troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire. Le droit européen prend aujourd’hui une place centrale dans les ordres juridiques des pays membres. Or, il est déjà extraordinairement difficile pour le/la citoyen•ne de s’y retrouver dans la législation nationale et d’avoir une compréhension générale de ses droits et obligations. Comment peut-on exiger du/de la citoyen•ne européen•ne qu’il/elle accepte sans mot dire les règles de droit européen tombées du ciel, surtout lorsqu’elles résultent non pas d’un processus démocratique, mais d’un développement jurisprudentiel concocté par une poignée de juges de la Cour de justice ?
A ces considérations s’ajoute la crainte d’une Europe devenant un seul marché ultralibéralisé, sans garantie aucune pour les plus faibles. Où est donc l’Europe politique? Celle qui prend des décisions courageuses, dans l’intérêt du plus grand nombre, sans céder aux sirènes des lobbys ou aux caprices souverainistes de l’un ou de l’autre Etat?
Réinventer une Europe proche de ses citoyens
Aussi à plusieurs titres l’Europe inspire de la méfiance. Certes, lors d’un scrutin tel que celui tenu en Irlande, la politique interne s’entremêle avec les enjeux européens. Certes, les politicien•ne•s eurosceptiques profitent de l’occasion pour avancer des arguments populistes. Mais l’échec irlandais est avant tout le signe que l’action politique de l’Europe manque singulièrement de lisibilité pour les citoyens et citoyennes plongés dans les aléas du quotidien.
L’Europe a le dos au mur. Non pas parce qu’elle est confrontée à une crise institutionnelle dont l’issue peine à se dessiner. Mais parce que les échecs répétés lors des scrutins référendaires masquent de moins en moins bien les questions qui fâchent. L’Europe, si elle veut réformer ses institutions, doit avant tout reformer son identité. Elle ne peut se contenter de chasser le naturel démocratique. Il revient au galop…