Les grands de ce monde se rencontrent et discutent. La jet-set s’amuse et dépense sans compter. Les spéculateurs s’en donnent à cœur joie. Les marchands de canons vendent leurs engins de mort sans état d’âme. Les multinationales accroissent leurs bénéfices et licencient à tour de bras.
Et pendant ce temps, de multiples problèmes essentiels, loin d’être résolus, s’aggravent chaque jour davantage. Le partage inégal des richesses et des ressources naturelles. La détérioration des termes de l’échange. Les nombreuses menaces sur l’environnement la disparité croissante entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre les plus riches et les plus pauvres. Les inégalités grandissantes dans les pays riches eux-mêmes. La persistance de l’intolérance et du racisme. La recrudescence des conflits et du terrorisme. Une mondialisation de plus en plus meurtrière et sauvage.
Comment ne pas penser qu’aujourd’hui dans le monde se perpétue un véritable « massacre des innocents » impitoyable et silencieux. Les trois-quarts des enfants de notre planète vivent une existence infra-humaine. Chaque semaine plus de deux cent mille d’entre eux meurent. Autant de lumières de vie, de promesse et d’espérance qui s’éteignent.
Comment tenter d’enrayer le cercle vicieux absurde et meurtrier de ces multiples actes de violence ? Entre autres, par une meilleure connaissance et une véritable sensibilisation aux problèmes que nos enfants – les adultes de demain – seront contraints de résoudre s’ils veulent continuer à vivre ensemble sur notre petite planète. Et dans cette perspective, l’Ecole a un rôle essentiel à jouer afin d’essayer de tordre le cou à l’ignorance et aux préjugès qui en découlent.
Il y a quelques semaines, un de mes fils, Timur, discutait avec un copain d’apprentissage.
– As-tu regardé, la semaine dernière, les émissions documentaires sur la Shoah et sur Auschwitz à la télévision ?
– quoi Auschwitz ? C’est quoi la Shoah ? lui répondit son copain.
Mon fils m’en parla le soir même.
– Papa, je pense que ce n’est pas de sa faute.
Timur a raison. Son copain est victime d’un manque d’information et de sensibilisation, ce dont il n’est pas responsable.
Récemment, je discutais avec des jeunes gens très sympa dans un bistrot lausannois. Nous commençâmes à refaire le monde. Je fus d’emblée émerveillé par leur désir de connaître et de construire un monde meilleur. Je fus cependant effaré par l’ignorance de la plupart d’entre eux. Bhopal et Tchernobyl ; connais pas ! Hiroshima et Dresden ; connais pas ! Le 11 septembre 1973 à Santiago du Chili ; connais pas ! Les violences actuelles en Tchéchénie, en Irak, au Soudan ; connais pas ! Il y a là indiscutablement un manque à connaître et à comprendre, donc à réagir, à prendre position et à s’engager.
Il est des personnalités qu’on ne peut ignorer, comme celles dont la lutte et l’action en faveur des autres, moins favorisés, demeurent exemplaires : Rigoberta Menchu au Guatemala ; Danilo Dolci en Sicile ; Aung San Suu Kyi en Birmanie ; Don Helder Camara dans le « quadrilatère de la faim » au nord-est du Brésil ; Sœur Emmanuelle auprès des chiffonniers du Caire ; le génèral de la Bollardière qui refusa de pratiquer la torture en Algèrie ; Germaine Tillion dans sa résistance contre le nazisme ; Sitting Bull, conscience des indiens sioux hunkpapa ; Irena Sendler, cette « Juste » de Varsovie qui, au péril de sa vie, sauva des enfants juifs en les faisant sortir du ghetto en 1942 ; Sebastiao Salgado qui, au travers de ses photos, évoqua avec une profonde humanité l’existence laborieuse et souvent dramatique de millions de laissés-pour-compte.
Il est des lieux à respecter et à vénérer, comme le Vercors et les Glières, hauts lieux de résistance militaire au nazisme, et le Chambon-sur-Lignon, sanctuaire de la résistance civile et du sauvetage de milliers d’enfants pourchassés par les nazis.
Il est de nombreuses ONG et d’innombrables anonymes qui, quotidiennement, oeuvrent sans relâche pour améliorer le sort et soulager les souffrances de leurs semblables dans la détresse.
Il faut parler à nos élèves de ces femmes, de ces hommes, de ces lieux, de ces organisations, et leur montrer qu’on peut toujours, selon ses moyens, entreprendre quelque chose pour soutenir plus démuni que soi et appuyer les efforts de celles et ceux qui militent pou un monde plus équitable. Il y a là un champ d’activité inépuisable que l’Ecole et les enseignants pourraient davantage encore exploiter. De quoi développer l’esprit critique, prôner l’ouverture sur le monde et susciter une prise de conscience de la réalité. De quoi apprendre aux enfants que les valeurs de solidarité doivent l’emporter sur celles de compétition et de puissance.
L’enseignant aurait la possibilité, durant plusieurs semaines, d’étudier un thème bien défini, dans le cadre de l’histoire, de la géographie et du français d’expression, et cela dans n’importe quel type de classe de l’enseignement obligatoire. Voici un exemple de supports audio-visuels et littéraires de qualité que l’enseignant pourrait utiliser dans une classe d’adolescents. Pour le thème de réflexion sur « l’Appartheid » : le roman « Une saison blanche et sèche » d’André Brink et le précis d’histoire « la nouvelle Afrique du Sud » de Paul Coquerel ; le film à scénario « Cry Freedom » de Richard Attenborough ou « Un monde à part » de Chris Menges ; le film documentaire « Mandela, fils de l’Afrique, père d’une nation ».
La pédagogie, c’est aussi réveiller des inquiétudes et y répondre. Les horreurs du passé doivent nous inciter à nous préoccuper davantage des problèmes d’aujourd’hui et d’un avenir viable pour tous. Georges Bernanos disait qu’il ne faut pas attendre l’avenir comme un train. L’avenir, on le fait et on le prépare dès aujourd’hui. L’Ecole – si on lui en donne les moyens – a une mission essentielle à jouer dans cette prise en compte du monde qui nous entoure, des hommes qui y vivent, des problèmes à résoudre et de l’obligation que nous avons d’évoluer, mais tous ensemble. Martin Luther King n’a-t-il pas déclaré : « Il nous faut apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons périr ensemble comme des imbéciles ».