Le débat sur le libre-choix de l’école, la mise en concurrence des établissements (publics ou privés) et le financement public de l’enseignement privé par des «bons scolaires» est lancé. Autour de quels enjeux?
Une motion libérale a été rejetée au Grand Conseil vaudois, une initiative passera en vote populaire à Bâle-Campagne et d’autres sont en préparation, notamment dans le canton de Vaud. Ces projets sont portés par la droite et des associations de parents d’élèves regroupés sous l’appellation Lobby parents suisses. Ils reçoivent parfois certains soutiens à gauche, à l’instar des Verts de Bâle-campagne, qui, sans soutenir l’initiative, n’en sont pas moins des partisans déclarés du financement public de certaines écoles privées, ou de la socialiste zurichoise en mal de profil Chantal Galladé. Et les médias, friands de libéralisme (et qui se réjouissent certainement d’un juteux marché publicitaire), leur emboîtent le pas.
Une école à deux vitesses?
Les partisans d’une mise en concurrence des écoles prétendent vouloir diminuer les inégalités, même si beaucoup agissent en fait en sous-main pour améliorer les bénéfices d’un enseignement privé en pleine expansion. Ils martèlent que certaines écoles publiques, celles des quartiers à forte proportion d’immigré-e-s notamment, sont mauvaises et condamnent leurs élèves à la médiocrité. Mais ils prétendent aussi que c’est l’école qui doit s’adapter aux besoins des parents et non l’inverse. Ceux-ci devraient pouvoir scolariser leurs enfants en fonction de leurs désirs, par exemple de leurs convictions religieuses ou de leur mode de vie, par exemple à proximité de leur lieu de travail. Pour étayer leur thèse, ils brandissent le spectre d’une école à deux vitesses. L’école privée serait selon eux meilleure que l’école publique, et vu son prix, la majorité de la population n’aurait pas accès à la meilleure éducation. En outre, la carte scolaire ne serait qu’un carcan qui empêcherait les enfants de «s’échapper» d’une «mauvaise» école. Ils ne parviennent cependant jamais à démontrer que l’école privée dispense une meilleure éducation que l’école publique; les faits ont d’ailleurs plutôt tendance à démontrer le contraire. En outre, ils taisent que la mise en concurrence des écoles et le subventionnement du privé ne ferait que priver l’école publique des moyens dont elle a besoin, notamment pour des mesures d’intégration des migrant-e-s ou d’encadrement des élèves en difficulté.
Le libre choix dans la pratique
Quoi qu’il en soit, le libre choix de l’école ne peut qu’aboutir à un renforcement des inégalités sociales. C’est en tout cas ce qui se passe dans les pays où il est appliqué. Ainsi, le système scolaire belge est, selon l’étude PISA, celui où le niveau de formation des parents a le plus d’influence sur celui de leurs enfants. C’est aussi celui où la liberté de choix est la plus vaste. Et, aux Pays-bas, un libre choix généralisé aggrave la ségrégation sociale, particulièrement entre indigènes et migrant-e-s. Dans ces deux pays, l’enseignement religieux est majoritaire à l’école primaire. Le libre choix mène fatalement à une concentration des «meilleurs» élèves dans les «meilleures» écoles. Qui, mécanismes du libre marché obligent, peuvent augmenter leurs tarifs et durcir la sélection, aggravant encore un peu plus les inégalités. Les partisans du libre choix s’appuient aussi souvent sur l’exemple finlandais, pays champion du hit-parade PISA, où le libre choix y est théoriquement total. Mais ils taisent que, dans les faits, il n’y est pas du tout appliqué.
Apprendre à vivre en communauté
Le libre choix nie en outre une des missions fondamentales de l’école républicaine: Si tous les enfants d’un même quartier ou de la même commune fréquentent le même établissement, quelles que soient leur origine, langue maternelle ou culture, ils apprendront à vivre ensemble, à se respecter, à collaborer, bref, à vivre en démocratie. Permettre aux parents de choisir l’école de leur enfants (et d’en changer aussi souvent que cela leur chantera) casse ce lien social et mènerait à un système éducatif segmenté, où chacun ne fréquente que les gens de son milieu et, pourquoi pas, de sa religion ou de son bord politique. Le libre choix de l’école nuirait donc aux objectifs de laïcité, de neutralité confessionnelle et politique de l’enseignement obligatoire.
Sur le dos du personnel
Le libre choix de l’école a enfin un effet négatif sur les conditions de travail du personnel enseignant. La mise en concurrence ne peut qu’entraîner une pression sur les salaires, chacun voulant offrir le meilleur prix. En outre, une croissance de l’enseignement privé aux dépens du public signifierait pour beaucoup d’enseignant-e-s l’abandon du statut du personnel de l’Etat pour des contrats de droit privé. Le libre choix de l’école et l’inévitable effet de mode qui en découlerait ne manqueraient enfin pas de forcer les enseignant-e-s à changer fréquemment de lieu de travail comme d’élèves, au gré du succès de l’une ou de l’autre école. Mode qui rendrait au demeurant la planification scolaire fort ardue, car les autorités ne pourraient plus se baser sur les naissances pour prévoir les bâtiments à construire et le personnel à engager; ils devraient aussi tenir compte des effets de modes, de la bonne ou mauvaise réputation d’une école (ainsi que de ses voisines) et risquer de voir leurs investissements devenir obsolètes du jour au lendemain.