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L’alliance de la carpe et du lapin permet à la gauche de conquérir le pouvoir

Avec l’appui du centre, la gauche accède enfin au pouvoir. Quel sera le prix à payer en termes de programmes? Chaque composante suit en effet sa propre logique. Analyse.

«Un contrat passé entre la classe populaire et la classe moyenne». C’est ainsi que le leader communiste français Maurice Thorez définissait à juste titre le concept de front populaire dont il est à l’origine. Autrement dit, non seulement l’union de la gauche (socialiste, communiste, voire même, en Espagne, antistalinienne et, en partie, anarchiste) avec le soutien des syndicats de toutes tendances, mais également du «centre» radical (France et Chili des années 30), républicain (Espagne) ou démocrate-chrétien (Chili, 1970), c’est-à-dire de partis bourgeois réputés «progressistes».

Les origines

Dans les années 30, quinze ans après le Congrès de Tours et la scission historique entre communistes et socialistes en France, l’Internationale communiste, qui rejetait auparavant toute alliance avec les bourgeois et les traîtres réformistes, changea son fusil d’épaule et décida d’encourager les fronts populaires pour lutter contre la montée du fascisme. En France et en Espagne, la République était en danger et il était ainsi logique que les partis centristes qui l’incarnaient se mobilisent. D’autre part, en Espagne, un système électoral de type outrageusement majoritaire rendait une large alliance indispensable.

Quant aux socialistes, ils cherchaient des alliés sans lesquels ils ne pouvaient exercer le pouvoir, seule manière de transformer la société dans le but de dépasser le capitalisme (le but des socialistes des années 30 comme de ceux d’Allende, eh oui!). Convenons-en donc, l’alliance, du point de vue idéologique, tenait un peu de la carpe et du lapin. Le centre entendait en effet, au mieux et pour son aile gauche, s’en tenir à des réformes sociales, à quelques «aménagements » du capitalisme. Pour le futur président du Conseil français Léon Blum, il s’agissait donc en somme de faire un «bout de chemin » avec les radicaux.

Les programmes

Le comble est que ces derniers, qui s’opposaient à l’inclusion de vastes nationalisations dans le programme du Front populaire, seront soutenus par les communistes, qui leur préfèrent la planification pure et simple. Ainsi, pour reprendre la formule de Jean Lacouture dans sa biographie de Blum, les radicaux ont, avec le soutien des communistes, «réussi à raboter ce programme dans un sens aussi banalement unanimiste que le leur». Seule subsistera donc la nationalisation des industries de guerre et la réforme de la Banque de France. Pas révolutionnaire, mais ambitieux, le Front populaire français revendiquait tout de même le désarmement et la dissolution des ligues fascistes, l’abrogation des lois restreignant la liberté de la presse, l’organisation d’émissions radiophoniques d’État avec égalité des organisations politiques à l’antenne, des libertés syndicales pour tous, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans, la création d’un fonds national de chômage, un plan de grands travaux, le soutien des coopératives agricoles, etc.

L’Unité populaire chilienne d’Allende se montrera beaucoup plus audacieuse. La «voie chilienne vers le socialisme» consistait, ni plus ni moins, en l’instauration d’un système socialiste par les voies légales et démocratiques. Outre la réforme du système de santé, la poursuite des réformes de l’éducation entreprises par le démocrate-chrétien sortant Eduardo Montalva Frei, un programme de lait gratuit pour les enfants, le programme comportait aussi une réforme agraire et la nationalisation à grande échelle de certaines industries.

L’arrivée aux affaires

La différence fondamentale entre les premiers fronts populaires et l’expérience de l’Unité populaire est là. L’UP, contrairement aux premiers, visait une véritable révolution démocratique. La démocratie chrétienne, dont le candidat Tomic a pourtant fait campagne passablement à gauche lors de la présidentielle, ne fait d’ailleurs pas partie de l’Unité. Allende, face à Tomic et au conservateur Alessandri, obtient 36% des suffrages et c’est le Parlement qui doit trancher. Allende obtient le soutien démocrate- chrétien contre l’assurance qu’il respectera la Constitution… Au contraire, les radicaux français et les républicains espagnols ont non seulement pesé de tout leur poids sur le programme commun, mais joueront également un rôle central au sein même des gouvernements. Dans le Chili des années 30 et 40, les trois présidents issus du Front populaire furent des radicaux. Outre les socialistes, trois communistes seront intégrés en 1946 pour la première fois au gouvernement, mais ne resteront pas longtemps. Sous la pression étatsunienne, le PC sera même finalement interdit en 1948. En Espagne, où le système électoral donne une confortable avance au Front populaire vainqueur de justesse, les républicains laisseront bientôt la place aux socialistes, alors que la guerre s’installe peu après la victoire du Front populaire.

En France, les radicaux sont en perte de vitesse, alors que les communistes progressent. C’est ainsi que la présidence du Conseil sera confiée non à un radical mais au socialiste Blum, les communistes soutenant le gouvernement de l’extérieur, comme «ministère des masses». Pour la première fois, le gouvernement est à dominante socialiste et comporte trois femmes, avant même l’adoption du suffrage féminin. Et Léo Lagrange est nommé sous-secrétaire aux sports et loisirs, «ministre de la paresse» selon la droite….

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