Traiter de la classe ouvrière aujourd’hui peut apparaître comme désuet, de nombreuses personnes ayant déjà rangé dans les poubelles de l’histoire l’idée de classes sociales, et encore plus de la classe ouvrière. Pourtant, celle-ci occupe une place centrale dans l’histoire du mouvement socialiste; elle est même à son origine. Dans les écrits de Marx du 19e siècle, la classe ouvrière représente le sujet historique de la transformation et du dépassement du capitalisme.
Quels sont les critères qui définissent la classe ouvrière et l’appartenance à une telle classe? Le point de départ renvoie à la position dans le processus de production et aux conditions de travail. A cette dimension, peuvent encore s’ajouter d’autres critères comme le salaire, les modes de vie ou encore la «conscience de classe», qui renvoient cette fois non plus aux conditions matérielles de production, mais à l’identité politique des ouvriers.
Du prolétariat au précariat?
Si, à l’époque du capitalisme du XIXe siècle, les ouvriers industriels représentaient l’écrasante majorité des salariés et correspondaient au prolétariat, le nombre d’ouvriers, définis par l’exercice d’une activité manuelle de production, a considérablement diminué au cours du XXe siècle. Les pronostics de la prolétarisation de la grande majorité de la population ne se sont pas concrétisés. Au contraire, l’apparition de classes sociales intermédiaires ou moyennes (parfois liées au secteur public) a atténué la polarisation du capitalisme du XIXe siècle.
La structure socio-professionnelle des économies capitalistes développées s’est profondément modifiée au cours du 20e siècle; tout d’abord, sous l’effet de la rationalisation de la production par l’introduction de nouvelles machines, faisant ainsi disparaître un certain nombre de professions; ensuite, en raison de l’essor du secteur des services, qui, depuis les années 1960-70, représentent la plus grande proportion d’emplois dans les pays «industrialisés» du Nord, ou encore de l’augmentation des emplois dans le secteur public. Ces changements structurels ont modifié la stratification sociale de nos sociétés capitalistes.
Que veut encore dire la classe ouvrière aujourd’hui? Quelle proportion de la population active représente-t-elle? Selon les récentes enquêtes de l’Office fédéral de la statistique sur la population active suisse, les catégories des artisans, des ouvriers qualifiés et des ouvriers et employés non-qualifiés (mais sans le personnel de services et de vente) représentent environ 25% de la population active, alors que la proportion de salarié-e-s dans la population active atteint plus de 80%.
Cela ne signifie pas que les formes d’exploitation aient disparu de notre société, bien au contraire… Même en faisant abstraction des pays du Sud (de la Chine à l’Amérique latine en passant par l’Inde ou l’Afrique), où sont de plus en plus concentrés les emplois industriels, les formes d’exploitation de la main d’œuvre se sont diversifiées. Contrairement à l’époque du capitalisme industriel du XIXe siècle, marqué par l’exploitation du prolétariat industriel et une certaine homogénéité des conditions de vie, les formes d’exploitation contemporaines sont beaucoup plus diverses, à la fois dans le secteur industriel, mais aussi et surtout dans les emplois de services. Certains parlent de précariat par analogie au prolétariat pour souligner la diversité de ses composantes, et la nécessité de recourir à un terme «nouveau» pour rendre compte des changements importants qui ont eu lieu en quelques décennies au bas de l’échelle sociale…
Quelle base sociale aujourd’hui?
Face à cette plus grande diversité des formes d’exploitation contemporaines, et donc d’intérêts peut-être plus divers également, comment viser une transformation des rapports de production et une amélioration des conditions de vie pour le plus grand nombre? Cette question est essentielle pour la gauche, aussi bien sur le plan politique que syndical, pour élaborer des propositions et des stratégies qui mobilisent une part croissante de la population. Il s’agit d’analyser la composition actuelle du salariat, d’en identifier les intérêts communs mais aussi de savoir en cerner les différences, afin de créer des conditions favorables à l’émergence d’une nouvelle conscience commune. Une nouvelle conscience «de classe» ?