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La loi doit-elle être sexuellement explicite?

Pourquoi un Etat doit légiférer en matière de représentations sexuelles explicites? Peut-on parler de dangers d’une exposition à ces images?

La question sera abordée sous deux angles. Le premier est celui qui oppose les féministes libérales aux radicales. Toute la polémique repose sur le pouvoir que l’on attribue aux représentations sexuelles explicites et sur une interprétation des rapports sexuels en terme de rapport de domination.

Acte de violence?

Les tenant-e-s d’une vision de la sexualité comme rapport forcément de subordination des femmes aux hommes soutiennent que la représentation d’actes «par essence» violents constitue un acte de violence sexuelle en soi et donc porte atteinte à l’intégrité ou à la dignité des femmes. Deux aspects sont donc discutables. D’abord prétendre que tout rapport sexuel est un rapport de domination et une violence envers les femmes est terriblement réducteur. Cela témoigne de plus d’une perspective totalement hétérosexuelle et enferme les femmes dans un rôle toujours passif. Faire de toutes les représentations sexuelles explicites une forme de violence empêche une lutte contre les violences sexuelles réelles et sème la confusion.

Enfin, le postulat théorique sous-jacent à cette position considère qu’un moyen de représentation de l’oppression peut exercer un pouvoir oppresseur. Sans revenir sur la question de savoir si la sexualité est nécessairement violence, nous pouvons considérer que les pratiques contemporaines sexuelles ne sauraient être totalement exemptes d’un système de pouvoir tel que le patriarcat. Il est donc malheureusement peu surprenant que les représentations de ces pratiques en soient empreintes. Mais cela donnerait-il la légitimité à une intervention législative? Le rôle que joue la pornographie comme facteur facilitant les agressions sexuelles reste largement à démontrer et ne saurait justifier sa pénalisation dans l’absolu. Rappelons de plus que la législation suisse interdit toute représentation «d’acte d’ordre sexuel comprenant des actes de violence».

Un bienfait pour les femmes?

Le courant libéral défend un rôle social et même politique de la pornographie pour une «véritable» libération sexuelle des femmes. Arguant que personne ne peut choisir la sexualité des autres adultes consentants à leur place, les féministes libérales prônent une libéralisation des représentations sexuelles explicites. Pour les tenant-e-s de cette position, la pornographie est un bienfait pour les femmes: d’un point de vue personnel, elle aurait un rôle d’information et le fait qu’elle soit de la fiction permettrait d’évacuer la confusion émotionnelle qui entoure le sexe dans la réalité et ainsi d’expérimenter des situations inconcevables dans la réalité; politiquement la légitimer protégerait mieux les personnes travaillant dans ce domaine et constituerait une lutte contre la censure qui a contrôlé la sexualité des femmes à travers les siècles.

Si l’on ne peut probablement être aussi positive que certaines de ces «féministes libérales» au sujet des bienfaits du porno, il paraît tout aussi dangereux de rejoindre les positions les plus conservatrices sur ce sujet et d’enfermer les représentations sexuelles explicites dans l’illégalité et la répression pénale. Mais de toute façon la plupart des législations laissent une porte ouverte à cette question: en bref, si c’est de l’art, c’est permis.

L’art de la pornographie

Car il faut bien comprendre qu’aux yeux de la loi, toutes les représentations sexuelles explicites ne sont pas de la pornographie. Après avoir interdit la pornographie aux personnes de moins de 16 ans, garantit que personne ne serait forcé à en voir et interdit toute production ou consommation des représentations d’actes considérés comme la «pornographie dure», tout est possiblement remis en question par le chiffre 5 de l’article 197 du CP consacrant l’idée que les représentations ne seront pas pornographiques si elle présentent «une valeur culturelle ou scientifique digne de protection». Voilà un critère bien difficile à définir. Ce débat existe depuis longtemps et n’est pas terminé. Pour exemple, la récente exposition du musée de l’Elysée sur les «Controverses» juridiques autour d’œuvres photographiques présentait plusieurs illustrations de cette polémique.

La liberté d’offenser

La question de la liberté d’expression doit également être abordée. S’il est sensé de criminaliser la représentation d’actes répréhensibles pénalement, comment justifier d’interdire celle d’actes tout à fait légaux entre adultes consentants. Par exemple dans le droit suisse les actes scatologiques entre adultes consentants sont permis mais pas leurs représentations.

Il possible de questionner également la limite inférieure d’âge légal imposée. Quelle était la volonté du législateur? Les représentations sexuelles explicites d’actes non violents ont-elles une influence néfaste sur le développement des personnes mineures? Cette affirmation souvent répétée n’a pu être sérieusement démontrée. Aujourd’hui nombre de personnes, notamment des politicien•ne•s de tous bords, font des liens «magiques» entre la pornographie et les actes de violence sexuelle (ou non, d’ailleurs) chez les jeunes et prônent des mesures radicales d’interdiction de toute représentation sexuelle explicite, mais également celle des œuvre de fiction ou des jeux vidéos «trop réalistes». La gauche ne doit pas tomber dans une politique du sexe bien pensante et bourgeoise qui restreint les libertés individuelles en enfermant les individus et leur sexualité dans un carcan hétéronormé et stigmatisant la sexualité des femmes et des hommes.

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