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La démonstration de force de l’Europe : la Grèce ne joue plus

Ça y est, il est là, il a l’air heureux, le sourire ne le quitte plus, Alexis Tsipras a réussi l’exploit qu’aucun parti de la gauche de la gauche européenne n’osait rêver. Un homme et un parti que presque rien ne destinait au pouvoir… Oui, il faut cligner des yeux, ils sont bien là. Mais très vite, Alexis Tsipras et son ministre des finances, Yanis Varoufakis, sans pouvoir savourer leur victoire, doivent de toute urgence faire le tour des capitales européennes. La pression est maximale sur le nouveau gouvernement, surtout après sa volonté de ne plus collaborer avec les instances administratives de la Troïka chargée de décider de l’octroi (ou non) du financement de la dette. L’emprise de la Troïka s’est traduite par une politique de la misère économique (le terme austérité est une vertu à consonance religieuse qui n’est pas appropriée dans le contexte grec) et par un échec cuisant en ce qui concerne son premier objectif : le remboursement de la dette. La Grèce avec ce dispositif aveugle et excessif (qui ne marche que sur le papier mais qui dans les faits ressemble à une spoliation des biens des Grecs) a été traitée comme un pays à la sortie d’une guerre qu’elle aurait voulue, coupable et justement humiliée. C’est pourquoi la lutte que mène Syriza se joue sur un plan technique, mais aussi sur le plan de l’histoire et des symboles. Le temps, en Grèce, concernant certains événements historiques, n’est pas allé à la même vitesse qu’en Allemagne (d’ailleurs faut-il que l’Europe adopte le pas de l’Allemagne ?) comme cette pendule de la basilique du village de Kalavryta arrêtée le 13 décembre 1943 à 14h34 lors du massacre par les Allemands de tout les hommes du villages. Ce n’est pas un hasard si l’un des premiers actes du nouveau chef d’Etat a été de se rendre sur le mémorial national de la résistance à Kaisariani. Revenir sur l’histoire de la résistance n’est pas uniquement un symbole de circonstance pour les Grecs, elle incarne encore une mémoire collective très vive, et surtout, elle représente la capacité de la communauté à faire face et à revendiquer son auto-détermination.

La référence pourra paraître déplacée ou agaçante pour beaucoup d’Européens, mais la temporalité n’est pas la même pour tous, et pas sur tout les plans. Pour les Grecs, cette plaie laissée par la Seconde Guerre mondiale, et qui ne s’était jamais vraiment fermée, s’est approfondie, accompagnée d’une forme d’impuissance devant un ennemi invisible : le marché avec ses ramifications complexes, soutenu par un dispositif administratif autoritaire. Investir le champ symbolique est vital pour Syriza puisque cela indique la volonté de revenir dans le jeu politique pour enfin sortir du montage sans vision et sans espoir élaboré par des technocrates. Faire face revient alors à se souvenir que la dette de guerre de l’Allemagne n’a jamais été remboursée (les réserves de la Banque Nationale de Grèce ont été volées sous l’occupation) pour ensuite rappeler ce que cela implique pour la solidarité européenne : « Souvenez vous, il n’y a pas si longtemps, on vous a laissé vous relevez, on vous a laissé votre fierté, aujourd’hui vous êtes les leaders de l’Europe, à vous de nous laisser nous reconstruire, de nous laisser notre fierté, la dette, oui, on la remboursera, trouvons une solution viable».

Il ne s’agit donc pas d’obtenir une réparation (le gouvernement grec n’est pas naïf, jamais l’Allemagne de remboursera cette dette qui représente au minimum cinquante milliards), mais de faire jouer ce sens de la solidarité qui fera vivre une Europe qui ne sera pas uniquement la garante des intérêts financiers (et de leur rentabilité dans ce cas). Cette pression symbolique, bien faible, est actuellement une des ressources de Syriza ; les dirigeants de l’Union Européenne, pour l’instant, ne sont pas prêts à renégocier le montage de la Troïka, et la situation est pressante parce que les réserves de liquidité vont manquer d’ici quelques mois. Entretemps, la BCE a montré son vrai visage, triste, mettant une pression supplémentaire sur les politiques en refusant de continuer à acheter des obligations d’Etat grecques, laissant encore moins de temps à disposition pour trouver une solution. L’ancien de Goldman-Sachs, Mario Draghi, très égal à lui-même, joue au poker avec la Grèce et crée les conditions d’un défaut de paiement qui serait catastrophique pour l’ensemble de l’UE et serait dangereux pour l’avenir de l’Euro. Paradoxalement, le poker menteur de la BCE, jouant avec sa propre crédibilité, a donné une aura supplémentaire au nouveau gouvernement. Désormais, on détient la preuve de l’hostilité de la BCE à l’égard de la Grèce, la poussant de toutes ses forces à garder le dispositif en place de la Troïka. Le nouveau gouvernement aurait besoin de six mois pour mettre sur pied une alternative pour payer sa dette dans des conditions qui ne détruisent pas le pays en le mettant à sac et à genoux. Pour cela, il lui faut des interlocuteurs et des soutiens ; il ne parlera plus avec les bureaucrates de la Troïka, il en va de sa crédibilité électorale et morale. Ce mouvement de pression de la BCE est une impasse, Alexis Tsipras a tout à perdre à remettre la Grèce sous le joug de la Troïka. Et sinon quoi ? Le « Grexit » ?  N’y croyez pas une seconde, ça n’existe pas, c’est leur dernière carte de poker menteur. Heureusement, ce gouvernement ne joue plus. La Grèce fait partie de l’Europe, les destins sont liés par des dettes, oui, mais aussi et surtout par une volonté de faire advenir une autre histoire, celle de la solidarité entre les nations européennes.

 

Dimitri Andronicos

 

 

 

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