Par André Mach
Les récentes statistiques sur la fortune des personnes physiques montrent l’accentuation de la concentration des richesses en Suisse.
Les classements des plus grosses fortunes du magazine Bilan de la fin 2006 l’avaient déjà laissé supposer: les riches deviennent de plus en plus riches. Cette fois, ce sont les statistiques officielles qui le confirment: la fortune des personnes physiques en Suisse n’a cessé de croître et de se concentrer ces dernières années, et cela dans des proportions considérables.
Lorsqu’il s’agit de promouvoir ces réformes fiscales allégeant les impôts des entreprises ou des rémunérations des cadres, notre ministre des finances, Hans-Rudolf Merz, n’est pas avare en études statistiques et argumentaires complexes. En revanche, lorsqu’il s’agit de commenter les nouvelles statistiques sur la fortune des personnes physiques publié tous les six ans par l’administration fédérale des contributions (parues en décembre dernier), pas un mot de commentaire, même pas de communiqué de presse de la part des services de H.R. Merz. Les données sont discrètement mises sur le site de l’administration. Pourtant, ces résultats sont particulièrement intéressants et justifient des réformes qui iraient à l’encontre des mesures proposées par le radical Merz.
Concentration accrue de la fortune
Depuis la récession du début des années 1990, le chômage a progressé de manière très importante pour atteindre plus de 180’000 personnes en 1997, le nombre de working poors a également pris l’ascenseur et la croissance économique est restée anémique. Pourtant, durant la même période, la fortune des personnes physiques a augmenté de manière fulgurante. Ainsi, en douze ans, depuis 1991, date de la première statistique, la fortune des personnes physiques a quasiment doublé en francs courants, passant de 530 milliards en 1991 à près de 1’000 milliards de francs en 2003 (voir tableau ci-dessous). Même en tenant compte de l’inflation, environ 1% par an, la progression est considérable.
En 2003, 3.7% des contribuables concentraient 54% de la fortune suisse; 0.38% près de 27% et 0.14% (les contribuables avec plus de 10 millions de fortune) près de 20%. Par rapport à 1991 (0.29% «ne détenait que» 19% de la fortune), la concentration de la fortune s’est accentuée parmi les plus riches de la société. Les estimations de Bilan ne font que confirmer cette tendance: les 300 plus grosses fortunes de Suisse disposaient de près de 400 milliards de francs en 2005, alors qu’en 1989, les mêmes personnes ne disposaient «que» de 89 milliards!
A l’autre bout de l’échelle, les contribuables qui disposaient d’une fortune inférieure à 100’000 francs (les trois premières lignes du tableau, soit 74% des contribuables) détenaient 10% de la fortune totale en 1991; en 2003, cette catégorie de contribuable, un peu moins de 70%, ne disposait plus que de 5.5% de la fortune totale.
Les disparités de fortune sont particulièrement fortes dans le canton de Vaud, où les personnes sans aucune fortune représentent 54.7% des contribuables (contre 29.1% en moyenne nationale); à l’autre bout, les personnes avec plus de 10 millions de fortune (0.12% des contribuables, soit 389 individus) détiennent 25.6% de la fortune du canton (contre 19.7% en moyenne nationale).
Pourtant, les chiffres de l’administration fédérale des contributions sous-estiment encore la réalité. D’une part, certains éléments de la fortune ne sont pas pris en considération dans la statistique (notamment les droits du 2e et 3e pilier et les assurances-vie) et les immeubles sont recensés selon leur valeur fiscale cantonale, alors que la valeur vénale est généralement beaucoup plus élevée. D’autre part, ils se basent sur les déclarations d’impôt; or, il est connu que les grosses fortunes sont très bien conseillées pour faire valoir toutes les astuces pour minimiser leurs charges fiscales. Enfin, le système de «forfaits fiscaux» pour les riches étrangers tend encore à minimiser le calcul de la fortune en Suisse.
La concurrence fiscale fait ses effets
En analysant plus en détails l’évolution par canton, l’impact de la concurrence fiscale se répercute clairement la répartition des grosses fortunes selon les cantons depuis 1991. Ainsi, on peut voir que les «paradis fiscaux» de certains petits cantons alémaniques (Schwyz, Nidwald, Appenzell-Rhodes intérieures et Zoug dans une moindre mesure) et aussi Zurich ont attiré de plus en plus de grosses fortunes entre 1991 et 2003. Dans ces cantons, la fortune est nettement plus concentrée qu’en moyenne nationale.
Dans le canton de Schwyz, connu pour sa politique fiscale attractive envers les plus riches, les personnes avec plus de 10 millions de francs de fortune (un peu plus de 200 personnes) concentrent plus de 40% de la fortune du canton (contre 19.7% en moyenne nationale); les chiffres sont similaires dans le canton de Nidwald et, dans une moindre mesure, à Zoug. Et le concurrence fiscale s’est encore fortement intensifiée au cours des trois dernières années!
La Suisse reste un paradis fiscal pour les plus riches, suisses ou étrangers, et la concurrence fiscale ne fera qu’accentuer cette tendance. Un argument supplémentaire pour signer l’initiative socialiste «pour des impôts équitables. Stop aux abus de la concurrence fiscale»: à télécharger: http://www.justice-fiscale.ch
Statistique de la fortune des personnes physiques en Suisse (1991, 1997 et 2003)
Classes de fortune nette en 1’000 frs. | Nombre de contribuables (chiffres absolus et en %) | Fortune nette (en millions de francs et en %) | ||||
1991 | 1997 | 2003 | 1991 | 1997 | 2003 | |
0 | 1’227’934 (32.66%) | 1’194’139 (30.86%) | 1’277’671(29.12%) | 0 (0%) | 0 (0%) | 0 (0%) |
1-49 | 1’127’470 (29.98) | 1’102’753 (28.50) | 1’271’595 (28.98) | 22’028.6 (4.16) | 21’160.9 (2.82) | 22’805.1 (2.29) |
50-99 | 425’130 (11.31) | 410’988 (10.62) | 449’744 (10.25) | 30’568.8 (5.77) | 29’635.3 (3.95) | 32’681.4 (3.28) |
100-199 | 413’756 (11.00) | 413’205 (10.68) | 458’747 (10.45) | 58’717.3 (11.08) | 59’429.6 (7.92) | 66’188.8 (6.65) |
200-499 | 374’514 (9.96) | 453’948 (11.73) | 526’058 (11.99) | 115’447.2 (21.78) | 143’629.0 (19.15) | 168’427.5 (16.92) |
500-999 | 118’524 (3.15) | 177’441 (4.59) | 240’747 (5.49) | 80’623.0 (15.21) | 121’811.1 (16.24) | 166’804.7(16.75) |
1000-… | 72’822 (1.94) | 117’243(3.03) | 163’469 (3.73) | 222’725.9 (42.00) | 374’298.4 (49.91) | 538’695.0(54.11) |
Dont 5’000-… | 7’393(0.29) | 12’119(0.31) | 16’487(0.38) | 101’899.7(19.22) | 177’810.9(23.71) | 266’869.4(26.81) |
Dont 10’000-… | 6’173(0.14) | 196’396.8(19.73) | ||||
Total | 3’760’150 (100) | 3’869’717 (100) | 4’388’031 (100) | 530’110.8 (100) | 749’964.4 (100) | 995’602.4(100) |
Sources: Administration fédérale des contributions. Statistique de la fortune des personnes physiques pour l’ensemble de la Suisse (1991, 1997 et 2003).