La rédaction •
Les annonces de licenciement d’un groupe de presse semblent toutes se ressembler. Cette fois, c’est à la rédaction de 20 Minutes que 80 postes sont menacés. Comme toujours, ces restructurations répondent à des impératifs de « rendement ».
Pour rationaliser davantage, TX Group ne cache même plus le rôle central qui sera donné à l’IA générative pour la production d’informations. Un tel bouleversement placera sans nul doute ce genre de média dans une nouvelle catégorie : un entre-deux entre une page médiocre issue de Facebook et une caisse de résonance des communiqués de presse des pouvoirs politiques et économiques.
On aurait tort de se réjouir de la disparition du tirage papier de 20 Minutes, car celle-ci ne renforcera ni une presse alternative ni un journalisme plus sérieux. Cette disparition aura comme seul effet d’appauvrir encore davantage le débat politique romand.
Mais où vont tou∙te∙s ces journalistes licencié∙e∙s ? Pour certaines figures de la presse bourgeoise, ce problème ne se pose pas.
Un pantouflage bien helvétique
Il y a quelques semaines, Nicole Lamon est devenue porte-parole de la Confédération, en qualité de vice-chancelière ! Issue de la rubrique Suisse du Temps, elle avait déjà alterné entre la RTS et les services d’Alain Berset.
Romain Clivaz, désormais connu pour ses chroniques hasardeuses au Temps, s’était occupé de mettre sur le grill les politiques des années dans « La Matinale » de la RTS. Entretemps, il avait mis son expérience de quatre ans au profit de Karine Keller-Sutter, simple aparté dans sa carrière de journaliste.
Ces deux exemples n’arrivent pas à la cheville de l’ancien rédacteur en chef de 24 Heures. Alors qu’il était encore en poste, Thierry Meyer écrivait en 2014 un livre tout à la gloire de l’explorateur-milliardaire Frederik Paulsen, édité… aux éditions Paulsen. Ce n’est que trois ans plus tard qu’il met ses services de communicant à disposition du même milliardaire. Ce recrutement se montrera judicieux dès l’année suivante, qui sera marquée par l’affaire des voyages russes et la mise au-devant de la scène de son statut fiscal spécial. Cette thématique continuera à être traitée par le même Thierry Meyer et sa boîte de communication Dynamics Group : c’est elle qui conseille Valérie Dittli et Bernard Nicod dans l’affaire du bouclier fiscal vaudois.
Les licenciements des un·e·s et les pantouflages des autres menacent à la fois qualité de l’information en Suisse et exercice de la démocratie et du débat d’idées. Les journalistes disparaissent, ou se transforment en communicant‧e‧s à diverses échelles de pouvoir.
En 1849, Friedrich Engels décrivait ainsi la propension de la presse suisse à « courber le dos avec une grande humilité devant les mesquineries écœurantes d’un petit peuple antédiluvien de pâtres alpins, de paysans bouchés et de petits bourgeois crasseux, un petit peuple encore émietté et infiniment imbu de soi-même ». En 175 ans, la Suisse a eu le temps de s’industrialiser et de s’enrichir, mais sa presse semble toujours courber le dos devant une bourgeoisie qui, elle, est devenue beaucoup plus homogène.
Illustration: Infographie d’Olivier Longchamp et Christian Vullioud paru dans le numéro 31 de Pages de gauche, février 2005.