Les cités enclavées et clôturées se sont développées ces dernières années aux Etats-Unis. Elles constituent littéralement des ghettos pour riches.
S’il est bien un phénomène qui illustre les conséquences de la privatisation des espaces publics et des modes de vie ultra-individualistes, ce sont les gated communities. Encore relativement peu connues en Europe, ces cités enclavées et clôturées ont surtout connu un développement phénoménal aux Etats-Unis, principalement dans les Etats de Californie et de Floride. Il semble que tous les ingrédients nécessaires à l’expansion de ce genre de vie urbain y aient été réunis. L’idée est de permettre à des citoyens désireux de vivre «à l’abri des nuisances urbaines» de se protéger à l’intérieur d’une enceinte. L’espace contenu au sein des murs y est privatisé, afin que tout accès aux non-résidents soit interdit. La surveillance interne est exercée par une milice privée, qui se substitue en tous points à la police de l’Etat.
Se retrouver entre gens du même monde
Motifs sécuritaires, recherche de tranquillité et regroupement autour d’une activité particulière sont autant de raisons invoquées pour justifier la création et l’existence des gated communities. C’est ainsi que le village de Leisure World, dans la zone périurbaine de Los Angeles, est uniquement peuplé de retraités: il faut être âgé de plus de 55 ans pour être autorisé à résider dans la communauté. L’ensemble des services à disposition des résidents est orienté vers cette clientèle. Un autre exemple singulier est celui du village de Diamond Grove, près de San Francisco, qui se présente comme une «Gated Active Adult Community». L’identité communautaire y est très forte et gravite autour de l’idée qu’un résident doit être un adulte actif dans la vie économique.
Mais ces prétextes dissimulent parfois mal des motivations plus profondes – moins avouables – telles que la peur de l’autre ou la volonté de se retrouver entre gens «du même monde». En outre, il est inutile de préciser que les résidents de ces communautés appartiennent rarement aux couches sociales peu aisées de la population. La vente de la fermeture physique comme bien de consommation a pour conséquence directe que seuls ceux qui en ont les moyens peuvent y avoir accès. La sécurité et la tranquillité s’achètent au prix fort, pour le plus grand bonheur des promoteurs immobiliers et des propriétaires fonciers.
Gestion politique privatisée
Un aspect très alarmant, mais aussi largement méconnu, lié à l’implantation des gated communities, est celui de l’imbrication entre gestion publique et privée. Celle-ci est entretenue par un processus nommé incorporation (municipalisation), rendu possible par le système administratif américain. L’incorporation permet à une zone qui dépend de l’administration du county de se voir octroyer le statut de municipalité par une décision de l’Etat et par référendum local. Tantôt l’association des copropriétaires reprend simplement les tâches d’une municipalité, tantôt deux entités de gestion (publique et privée) se côtoient dans la plus parfaite confusion. Dans la communauté de Hidden Hills, près de Los Angeles, le siège du gouvernement public se trouve en dehors de l’enceinte, et ceci afin d’avoir à l’intérieur uniquement des espaces privés!
En réalité, la motivation principale est d’échapper au système de péréquation fiscale. On réalise ainsi à quel point les gated communities incarnent une remise en cause totale de la solidarité et des mécanismes redistributifs.
Véritables cités de riches, les gated communities à l’américaine n’ont pas encore connu le même essor en Europe. Mais le discours sécuritaire ambiant et les appétits de certains magnats de l’immobilier provoquent d’ores et déjà des développements inquiétants. Les zones résidentielles clôturées et sécurisées, déjà bien implantés en France, voire même dans certaines régions de Suisse, ne sont finalement pas très loin des cités américaines.