Internet est perçu comme un outil de démocratisation. Mais pour qu’il y ait démocratisation, encore faut-il que le grand nombre y ait accès.
Possibilité d’avoir accès et de produire une information alternative à celles des grands groupes de presse monopolistiques. Outil de communication planétaire et simultané, espace de débat sur la notion de propriété…– tels sont les vecteurs qui doivent faire d’Internet un moyen de démocratisation. Il y a néanmoins une question que l’on oublie trop souvent de se poser: qui a effectivement accès à cet outil au potentiel indéniable? Si l’on veut qu’une démocratisation soit effective, elle doit permettre à celles et ceux qui n’en ont habituellement pas les moyens de faire entendre leur voix, sinon Internet n’est qu’un outil de plus aux mains de celles et ceux qui contrôlent déjà les autres canaux d’information.
Avoir accès à un ordinateur…
…est, sans surprise, une condition sine qua non pour accéder à Internet. Ne serait-ce que sous cet angle-là, les chiffres parlent d’eux-mêmes. De 2001 à 2005, selon une étude de la United Nations Conference on Trade and Development, l’Afrique est passée… de un peu moins d’un utilisateur d’Internet pour cent habitants à un peu plus de trois habitants. Pour la même période, l’Amérique latine a connu une progression assez significative de son nombre d’utilisateurs (de 5% à 15%), mais il y a encore un fossé qui sépare la plus online des régions en voie de développement de la plus offline des régions développées économiquement, l’Europe (42% d’utilisateurs en 2005). Cette fracture nord-sud est la fracture numérique la plus flagrante, la plus médiatisée aussi. Elle n’est pourtant qu’un des aspects des inégalités liées à l’accès aux nouvelles technologies. Au sein même des différents espaces nationaux, il existe d’importantes disparités liées à l’origine socioculturelle ou au genre (cf. encadré). Ainsi, parallèlement à la fracture nord-sud «classique» cohabite une autre fracture entre zones urbaines et rurales, entre classes aisées et classes populaires. De manière caricaturale, le surfeur virtuel type est un homme, qui a suivi dune formation supérieure, qui vit en ville et qui a un revenu de classe moyenne ou supérieure, qu’il habite Bombay, Paris, Johannesburg ou Londres.
Une fracture peut en cacher une autre
Si l’habit ne fait pas le moine, l’ordinateur est loin de faire le blogueur. Apporter la bonne parole des Nouvelles Technologies aux populations des pays en voie de développement, c’est un nouveau colonialisme dans lequel les représentants costard – cravate de Microsoft ont remplacé les missionnaires en robe de bure des Eglises chrétiennes. Il faut permettre aux populations, non seulement d’avoir accès à Internet, mais aussi d’avoir les outils pour l’utiliser et pour savoir tirer une information pertinente de ce champ de bataille informationnel qu’est Internet. De l’utilisation, il faut également permettre la production d’information, utile quotidiennement aux populations concernées, ce qui pose une nouvelle série de questions sur l’accessibilité d’Internet, prédominé par des sites en anglais et à la diversité culturelle toute relative. Ces objectifs ne peuvent être atteints qu’en agissant sur les causes du problème: le sous-développement économique et les instabilités sociales et politiques des pays les plus pauvres. S’attaquer à la fracture numérique seule, c’est aussi absurde que s’attarder sur une brique fissurée alors que tout le mur menace de s’écrouler. La «démocratisation» que l’on associe actuellement à Internet est donc loin d’être réalisée. Ce constat s’ancre dans l’approche globale de ce dossier: les enjeux liés à l’utilisation d’Internet s’insèrent dans des rapports de force plus larges et nécessitent peut-être des réponses spécifiques mais qui seraient inutiles si elles étaient indépendantes de réponses globales.