Alors que les cas du Sénégal et du Burkina Faso ont fait les grands titres des journaux, la Côte d’Ivoire a elle aussi connu des «émeutes de la faim» en avril. Si la situation politique semble sur en voie de se normaliser, des tensions sociales resurgissent.
Du lundi 31 mars au mercredi 2 avril, plusieurs manifestations contre le prix élevé des aliments de base ont éclaté en Côte d’Ivoire. A Abidjan, chaque district a connu des manifestations. Elles ont été violentes au point de compter plusieurs dizaines de blessés et deux morts, suite aux mesures des forces de l’ordre pour les disperser.
Dans le district populaire de Yopougon, les commerçantes de plusieurs quartiers, aidés de jeunes gens, ont bloqué la voie principale. Le visage peint en noir, équipées de boîtes et de morceaux de bois, ces femmes sont sorties tôt le matin pour manifester contre la hausse des prix. Plusieurs pneus ont été brûlés et des voitures malmenées. Les manifestant-e-s bloquaient totalement le transit autoroutier. Les forces de l’ordre sont intervenues en nombre pour les disperser, en usant de gaz lacrymogène et de tirs de dissuasion et en n’hésitant pas à bastonner manifestant-e-s ou badauds.
Le mouvement s’est ensuite propagé à d’autres quartiers de Yopougon et suite au dispositif déployé par les forces de l’ordre, les manifestant-e-s ont changé de tactique. En effet, ils se sont organisés par petits groupes, érigeant ça et là des barricades et se cachant dans les maisons et les cours dès l’arrivée de la police.
Les femmes sur le devant de la scène
Parmi les revendications scandées et entendues, des «on a faim!» dominaient. Mais des manifestations contre la hausse des prix des produits sur le marché ont également eu lieu dans des quartiers moins populaires, comme celui de Cocody. Là aussi, les femmes, aidées de jeunes, ont été les principales actrices de la crise. Elles n’ont pas hésité à ériger des barricades et à couper les voies d’accès. Certaines femmes se sont même totalement déshabillées, ce qui est considéré comme un geste de grande signification et renforce le caractère important ou dramatique de cette crise.
La fin de la guerre civile (2002-2007), suite à l’accord de Ouagadougou d’avril 2007, a provoqué un grand espoir de paix et de prospérité. Bien que ces deux aspects soient déconnectés – la hausse des prix des produits alimentaires étant essentiellement un phénomène de spéculation à un niveau mondial – beaucoup d’espérances ont été déçues. Ainsi le coût de la vie n’a cessé d’augmenter, avec une hausse particulièrement marquée au début de l’année 2008.
Augmentation des prix et frustration
Le sac de riz est passé d’environ 15’000 à plus de 18’000 Fcfa, le litre d’huile de 650 à 1’000 Fcfa et le kilo de viande de 1’000 à 2’000 Fcfa (1 CHF = 413 Fcfa), etc. Si les prix ont augmenté, les salaires sont restés les mêmes et les familles s’appauvrissent donc. Les propos d’une manifestante à Cocody, rapportés par le quotidien gouvernemental Fraternité Matin (1.4.2008) en témoignent: «ce n’est pas normal qu’il y ait une flambée de prix et que les salaires restent les mêmes. Nous sommes pauvres. On nous dit que la guerre est finie, et maintenant, c’est le marché qui devient très cher. Cela est anormal.». Tout cela est donc à replacer dans le contexte difficile de l’après-guerre. Contexte difficile, car le pays a été littéralement coupé en deux: le gouvernement du Président Laurent Gbagbo contrôlait la partie Sud du pays tandis que la rébellion dirigée par l’actuel Premier Ministre Guillaume Soro contrôlait le Nord. Cette séparation a empêché tout investissement dans les services publics et retardé, de manière générale, toute action publique. De plus, beaucoup d’attentes et de revendications ont été mises sous l’éteignoir par le gouvernement au prétexte, souvent justifié, de la «guerre». Ces manifestations, avant tout contre la faim et la cherté de la vie, sont aussi le fruit de toutes les frustrations dues à la trop longue période troublée qu’a connue la Côte d’Ivoire.
En outre, ce n’est guère commun d’avoir vu surtout les femmes au-devant des manifestations. En effet, si elles gèrent traditionnellement les marchés en tant que commerçantes et l’approvisionnement des familles, cette crise représente aussi une prise ou re-prise de parole dans une Côte d’Ivoire dominée par les affrontements entre chefs de guerre et leaders de partis politiques.
Les élections en arrière-plan
Cette crise a obligé le Président Gbagbo à prendre des mesures: une baisse de moitié de la TVA (désormais à 9%) et une réduction des droits de douane sur certains produits de grande consommation. Même si le gouvernement promet de surveiller les prix, toutes ces mesures n’auront guère d’effet sur les stocks existants, et il est à prévoir qu’une fois en vigueur, elles profiteront plus aux nombreux intermédiaires qu’aux consommateurs. De plus le prix de l’eau, de l’électricité et du gaz a connu une sensible hausse, ce qui laisse à penser que ce que l’État a donné d’une main, il l’a repris d’une autre, de façon silencieuse.
Plus de deux mois après ces manifestations, les prix demeurent toujours élevés, même si la vitesse de la hausse semble s’être ralentie. La perspective de la prochaine et très attendue élection présidentielle (fixée au 30 novembre) oblige également le gouvernement à maintenir la pression sur les prix afin de contenter les futurs électeurs-trices. Il est à espérer que les élections prévues se déroulent au mieux afin que les Ivoiriens retrouvent des institutions et des autorités politiques plus stables et réellement responsables qui pourraient répondre aux attentes de la population.