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Droits sociaux: coups de tonnerre et érosions camouflées

Parallèlement aux projets de démantèlement des assurances sociales – 11ème révision de l’AVS, 5ème révision de l’AI – les droits sociaux individuels ne cessent de subir une lente mais continuelle érosion. Tour d’horizon.

Depuis 2003, et l’harmonisation minimale des allocations familiales sur le plan fédéral mise à part, l’approfondissement du démantèlement des droits sociaux marque de son sceau la politique de la majorité bourgeoise helvétique.

Coups de tonnerre

Cette volonté de restriction se caractérise d’une part par des coups de tonnerre publics. Ainsi, alors que le postulat constitutionnel du droit à une retraite digne n’est toujours pas garanti par l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), la 11ème révision de l’AVS a seulement pu être bloquée grâce à la mobilisation de la gauche politique et sociale au printemps 2004. Malgré la clarté du verdict populaire, la majorité du Conseil fédéral entend revenir à la charge avec un projet de révision très proche de celui rejeté en votation populaire. Par contre, la 5ème révision de l’assurance-invalidité qui consacre notamment le renforcement du principe de la responsabilité individuelle, vise à réduire le nombre de bénéficiaires de ce régime social et prive quelque 80’000 bénéficiaires actuels des rentes complémentaires pour conjoint-e-s de leur droit, a été adoptée à une majorité relativement confortable il y a quelques mois. Enfin, dans le domaine de l’assurance-maladie, une mesure scandaleuse introduite en janvier 2006 permet aux assureurs de suspendre la prise en charge des coûts de prestation en cas d’incapacité de paiement des primes par un-e assuré-e (article 64 a, al. 2 de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie LAMal). Conséquence: plus de 100’000 assuré-e-s se retrouvent sans financement de leurs prestations, les cantons doivent prendre en charge ces situations et un nombre inconnu de personnes renonce purement et simplement à recourir à des soins.

Erosions camouflées

D’autre part, de façon moins visible, nous assistons ces dernières années à une lente, mais continuelle érosion, de certains droits sociaux individuels. C’est le constat auquel aboutit notamment Béatrice Despland, chargée d’enseignement à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel, dans un récent dossier publié par l’Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale (ARTIAS). Ces détériorations concernent en premier lieu le domaine de la LAMal et de l’AI et touchent en particulier des personnes atteintes de problèmes psychiques. Depuis le 1er janvier 2007, le Département fédéral de l’Intérieur (DFI) a introduit des conditions de remboursement très restrictives en matière de prestations psychothérapeutiques. Ainsi, le médecin-traitant doit informer le médecin-conseil d’une caisse-maladie après six séances que le traitement qu’il envisage dépassera les dix séances. En outre, seuls sont admis les types de thérapie scientifiquement prouvés. Pour les assureurs, il s’agit par ce biais de «séparer le bon grain de l’ivraie» comme le note le bulletin infosantésuisse en juin 2006 cité par Béatrice Despland. Dans la même perspective de limiter les prestations voire même d’en empêcher l’accès, les Offices AI (OAI), en se basant sur le Tribunal fédéral des assurances (TFA), reconnaissent seulement dans des conditions très restrictives les problèmes psychiques pour octroyer des rentes. Il en va notamment des troubles somatoformes douloureux dont fait partie la fibromyalgie et dont le nombre de cas est en constante augmentation. Il s’agit de douleurs qui sont ressenties avec violence dans tout le corps par une personne et qui empêchent l’exercice d’un travail salarié et équivalent à une forte détérioration des conditions de vie de la personne concernée, mais dont l’origine physiologique ne peut pas être déterminée. Pour fonder le droit à une rente, ces troubles doivent s’accompagner d’une importante détérioration psychique voire d’une perte d’intégration sociale devant toucher «tous les domaines de la vie sociale».

Dans la même perspective de limitation du nombre d’ayants droit à une rente AI, il faut également mentionner deux arrêtés du TFA de mars et juillet 2005 qui concernent des salarié-e-s à temps partiel. En partant du principe que la personne concernée pourrait mettre entièrement à contribution à un travail «adapté» le temps qui jusqu’alors n’a pas été consacré à une activité lucrative, son taux d’invalidité est diminué. Pour passer dans bien des cas au-dessous du taux minimal exigé de 40% qui ouvre le droit à une rente.

L’aide sociale comme amortisseur

Les limitations des droits sociaux évoquées ci-dessus constituent une réalité inadmissible. Ceci pour deux raisons principales. Premièrement, dans un monde social et du travail où les pressions ne cessent de gagner en poids, elles font peser de plus en plus la charge de la preuve sur le dos de celui ou de celle qui a recours aux assurances sociales.

Deuxièmement, cette érosion des droits constitue une aubaine pour les franges de la droite helvétique qui, ouvertement ou de façon plus feutrée, alimentent la polémique et la stigmatisation des bénéficiaires de l’aide sociale. En effet, comme le montre en particulier le discours du «Parti suisse du peuple» (UDC), l’accent mis sur les «abuseurs de l’asile» s’est successivement déplacé vers les «faux invalides» et, depuis quelques mois, vers les «abuseurs de l’aide sociale». En se basant sur l’existence de certaines situations d’abus dont l’ampleur reste cependant marginale, ces milieux font de l’inquiétante réalité de la pauvreté dont une partie de la population suisse est frappée leur fonds de commerce populiste. Dans ce contexte, la réduction des droits sociaux et son impact sur l’aide sociale – gérée et financée par les cantons et les communes – deviennent un outil au service du populisme de droite.

 

 

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