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«Défendre les emplois, mais aussi les salaires et conditions de travail»

Pourquoi l’USS soutient-elle la libre circulation des personnes, quels enseignements en tire-t-elle, quelles garanties exige-t-elle et comment perçoit-elle l’avenir? Entretien avec Jean-Christophe Schwaab, secrétaire central de la faîtière syndicale.

PdG: Quels sont les principaux arguments qui fondent la position de l’USS?

La position de l’USS n’a pas changé par rapport aux dernières votations sur ce sujet: Les syndicats sont favorables aux accords bilatéraux à la libre circulation des personnes. Les avantages qu’ils apportent en matière d’emploi et de politique migratoire sont en effet indéniables. Mais, comme par le passé, nous sommes favorables à une libre circulation avec des salaires et des conditions de travail suisses, d’où notre position en faveur du renforcement des mesures d’accompagnement. 

Le bilan des mesures d’accompagnement est pour l’instant mitigé. Qu’est-ce qui vous fait croire qu’on va vers un mieux?

C’est vrai que certains problèmes ne sont toujours pas résolus: Depuis l’introduction de l’extension facilitée des CCT, il n’y a pas eu la moindre extension facilitée et la plupart des abus ont lieu dans des branches… qui bénéficient déjà d’une CCT étendue (construction, hôtellerie-restauration). En outre, les mesures d’accompagnement ne contiennent aucune protection contre le licenciement, même pour les salarié-e-s qui dénonceraient des cas de sous-enchère. Enfin, le travail temporaire, par nature non soumis aux CCT, est source de nombreux abus. C’est pourquoi nous mettons de grands espoirs dans la CCT conclue entre swiss-staffing (organisation patronale des bailleurs de services) et Unia, qui entrera en vigueur lorsqu’elle aura obtenu la force obligatoire.

Cependant, je ne pense pas que le bilan soit si mitigé. L’USS a pu obtenir une amélioration des mesures d’accompagnement: le nombre de contrôleurs sera doublé (avec le soutien financier de la Confédération), notamment pour contrôler les entreprises suisses, et les amendes augmentées de 50%. La pression de la votation aide aussi nos fédérations: les discussions ont par exemple repris entre le Syndicat de la Communication et KEP & Mail (organisation patronale des entreprises présentes sur le marché postal libéralisé) en vue de la conclusion d’une CCT. Et le Seco a reçu le mandat pour élaborer un contrat-type avec salaires minimaux pour l’économie domestique, source de très nombreux abus. Pourtant, il y a quelques mois seulement, les patrons ne voulaient pas entendre parler d’un tel CTT: ce serait en effet la première fois qu’un salaire minimum serait fixé au niveau national hors d’une CCT!

Nous avons pu aussi éviter un assouplissement des mesures d’accompagnement: l’UE et la chambre de commerce et d’industrie du canton de St Gall plaidaient par exemple pour la suppression du devoir d’annonce de 8 jours. Nous avons avec succès fait valoir nos arguments comme quoi les mesures d’accompagnement sont indispensables, même si elles doivent encore être améliorées.

Comment être confiants quand on sait que la libre circulation est considérée comme une manne par le patronat? Les intérêts de celui-ci étant souvent opposés à ceux des travailleur•se•s.

Qu’on le veuille ou non, les accords bilatéraux, c’est des emplois. Et, parce que nous devons défendre les intérêts des salarié-e-s, nous devons défendre leurs emplois, surtout à l’aube d’une récession. Mais nous devons aussi défendre leurs salaires et conditions de travail. C’est pour cela que nous nous battons et pour la libre circulation, et pour les mesures d’accompagnement! Nous sommes d’ailleurs bien conscients de cette divergence d’intérêts et ne faisons pas campagne avec economiesuisse.

Au niveau de la politique migratoire, la libre circulation représente aussi une grande amélioration, en tous cas pour les ressortissants des Etats membres de l’UE. Suppression du statut de saisonnier, des contrôles pointilleux et arbitraires à l’entrée en Suisse, amélioration du regroupement familial… Toutes ces avancées sont des revendications de longue date des syndicats! Enfin, il ne faut pas oublier que les salarié-e-s suisses qui souhaitent travailler dans l’UE le peuvent désormais plus facilement.

Quels espoirs et quelles craintes nourrit l’USS par rapport à l’avenir? Dans le cas d’un «oui», comme d’un «non».
Dans le cas d’un «oui», nous devrons remettre l’ouvrage sur le métier. Il faudra lutter pour améliorer encore les mesures d’accompagnement, les faire mieux appliquer, faire sanctionner plus sévèrement les patrons qui font de la sous-enchère. Il faudra continuer nos efforts pour améliorer les CCT, les défendre et en conclure dans de nouvelles branches. Nous devrons aussi faire des efforts pour syndiquer et informer les travailleurs étrangers qui arrivent en Suisse. Rien de tout cela ne sera facile et, en cas de «oui» le 8 février, il ne sera pas question que le mouvement syndical se repose sur ses lauriers.

En cas de «non», je crains une aggravation de la récession, des suppressions d’emplois et un isolement supplémentaire de notre pays. Les accords bilatéraux étant liés entre eux par la clause dite «guillotine», nous les perdons tous si nous en perdons un. Et, si nous perdons les accords bilatéraux, nous perdons aussi les mesures d’accompagnement et le contrôle des salaires qui va avec, car elles leur sont liées. La perte des accords bilatéraux serait dramatique pour notre pays, car ils ouvrent l’accès au marché européen à nos entreprises. Or, l’UE est de loin leur plus grosse cliente: deux tiers des exportations et un quart du PIB dépendent des échanges avec nos voisins. 

Nous devons aussi bien avoir à l’esprit qu’en cas de «non», c’est la ligne dure de l’UDC qui sera l’unique grand vainqueur. Et l’UDC est une adversaire résolue des travailleurs, de leurs conditions de travail et du contrôle des salaires. Elle est une partisane déclarée des privatisations, libéralisations, de la flexibilisation des horaires et des coupes dans les assurances sociales. Elle s’est systématiquement opposée aux mesures d’accompagnement, à la lutte contre la sous-enchère (plusieurs de ses élus ont d’ailleurs été condamnés pour dumping) et à la lutte contre le travail au noir (que ses élus, on se souvient de son ex-vice président Jean Fattebert, pratiquent aussi allègrement). Une victoire de ces positions serait dramatique pour l’ensemble des salariés.

Enfin, quel que soit le résultat de la votation, les syndicats devront se battre pour empêcher que la nouvelle loi fédérale sur les marchés publics ne permette l’application des conditions de travail du lieu de provenance et non du lieu d’exécution. Cette disposition introduirait une sous-enchère salariale entre les cantons, à l’image de la sous-enchère fiscale à laquelle ils se livrent déjà.

Propos recueillis par Maurizio Colella

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