Face à une économie mondialisée, quel est le rôle des fédérations syndicales internationaleset à quels obstacles majeurs doivent-elles faire face? Eclairages sur la question avec Vasco Pedrina, ancien président d’UNIA et actuel vice-président de l’Internationale du Bois et du Bâtiment (IBB).
Quelles sont les stratégies des syndicats du Nord pour faire face au dumping social des pays du Sud, notamment la Chine et l’Inde? Quels sont les principaux instruments pour combattre la détérioration des conditions de travail?
D’abord, si on prend l’exemple de la Suisse, on se rend compte que ses exportations vers les pays du sud sont plus importantes que les importations. Bien sûr, certaines productions souffrent de la concurrence des pays du Sud, comme dans le textile. Mais on peut dire globalement que des pays comme la Suisse et l’Allemagne profitent largement de ces échanges, indépendamment des bas salaires.
Pour en revenir aux stratégies et aux instruments à disposition des syndicats du Nord, il faut souligner que l’on a affaire, en Inde et surtout en Chine, à une exploitation des travailleurs et à un non-respect absolument éhonté des droits syndicaux. Et ce sont les syndicats et la gauche européenne qui doivent avant tout veiller à cette situation par une dénonciation systématique et forte des abus; ce qui n’est malheureusement pas encore suffisamment le cas aujourd’hui. L’objectif est de faire converger les niveaux de salaire à la hausse – un objectif primordial à l’heure des flux migratoires impressionnants que génère la mondialisation. Pour y parvenir, il y a quatre axes principaux: d’abord avec les multinationales, les internationales syndicales oeuvrent pour obtenir des accords-cadres, fixant des standards sociaux minimaux. Un deuxième axe est le lobbying qu’on essaie de mener sur des structures telles que l’OMC, en vue de négocier des conditions garantissant un libre-échange équitable. Ensuite, d’entente avec l’OIT, on agit pour la négociation de normes sociales fondamentales en faisant pression sur les gouvernements. Enfin, on a réalisé que ce qui a trait aux marchés publics dans le bâtiment (comme la construction de routes, d’écoles, etc.) était très souvent cofinancé par les institutions internationales, comme la Banque Mondiale par exemple. Notre rôle est de veiller à ce que les mandats que ces institutions accordent soient porteurs de garanties sociales.
Quel est le rôle des fédérations syndicales internationales? Ont-elles gagné en importance dans le contexte de globalisation économique?
Certes, elles ont gagné en poids, mais c’est encore très insuffisant en regard des défis que pose la globalisation. Cela est dû à plusieurs facteurs, comme les disparités des forces syndicales, ou aussi des différences de «culture» syndicale entre un pays et un autre. De plus, il y a souvent un manque de volonté de «céder» des compétences du niveau national à un niveau international. Mais aujourd’hui la pression du brutalo-capitalisme est telle qu’on réalise de plus en plus l’importance de ces structures internationales, et que cet internationalisme est le seul vrai moyen de créer un contre-pouvoir au capitalisme global. Pour ce faire, il faut lancer plus de campagnes internationales, comme ce fut le cas par exemple contre la directive Bolkestein! Dans ce contexte, il est intéressant de voir le jeu des alliances entre pays, ou encore les différents intérêts qui dictent les stratégies de certains syndicats nationaux…
Quelles stratégies pour les syndicats helvétiques?
La Suisse a une longue histoire d’engagement dans le syndicalisme international, surtout dans la métallurgie et le bâtiment. Dans le passé, le fait que la Suisse ait plusieurs langues nationales expliquait en partie sa forte représentation. Elle pouvait y jouer plus facilement un rôle de médiation. De nos jours, et après une période où elle a été un peu moins sur le devant de la scène, la Suisse reprend de l’importance dans ces structures. Pour ce qui est des stratégies, je peux par exemple citer le travail qu’on effectue dans les coopérations transfrontalières, par ex. à Genève ou au Tessin, qui connaît la libre-circulation des membres syndicaux entre Unia et la CGIL italienne. De plus, avec le problème des travailleurs détachés, des accords ont été conclus avec les syndicats autrichiens et allemands afin de garantir un suivi des travailleurs et qu’ils restent syndiqués.
Comment cela se passe-t-il dans le secteur du bois et du bâtiment?
Pour illustrer la situation, on peut prendre trois exemples. Le premier est un projet en coopération avec les mouvements sociaux altermondialistes. Avec UNIA, l’USS et l’IBB nous avons lancé, lors du Forum Social Mondial de Nairobi une campagne en vue de la coupe du monde de football 2010 en Afrique du Sud. Cette campagne se nomme «Fair games, fair play». Sont attendus en Afrique du Sud pour construire les infrastructures (stades. …) entre 20’000 et 150’000 ouvriers selon les années, et on a de très fortes craintes d’assister à un dumping massif! La FIFA a répondu par la négative à notre sollicitation quant à des garanties visant à protéger les travailleurs locaux. Nous allons donc mener des actions de protestation aussi en Suisse. On lie d’ailleurs cette campagne avec l’actualité suisse et la situation analogue à Zurich avec le stade de football censé accueillir des matches de l’Euro 08. Le deuxième exemple a trait à ma tâche principale au sein de l’IBB: l’aide au développement syndical des pays du centre et de l’est européen. En Suisse, un grand projet de renforcement des syndicats a été lancé dans ce sens entre UNIA, l’OSEO et l’IBB. Ce projet est financé par le Milliard de l’Est, et c’était là une des conditions que les milieux syndicaux helvétiques avaient posé à Mme Calmy-Rey pour que ceux-ci soutiennent le «oui» au texte. Le troisième exemple fait référence à ce que je disais avant: il y a environ dix ans, on s’est aperçu qu’entre deux tiers et trois quarts des projets de routes, écoles, ponts sont cofinancés dans le Tiers Monde par la Banque Mondiale. Il y a eu des négociations avec celle-ci pour qu’au moment où elle accorde un mandat et des crédits, elle engage les maîtres d’œuvre locaux au respect d’un certain nombre de normes de l’OIT. On en est encore au stade de projets-pilotes, et il n’existe pour l’heure pas de réglementation générale dans ce domaine. Mais le but, c’est d’y parvenir un jour!