Commémorer la guerre des paysans en relisant Engels

Joakim Martins •

De 1524 à 1536, l’espace germanophone est secoué par un soulèvement populaire sans précédent : la Guerre des Paysans. Cette révolte voit des dizaines, voire des centaines de milliers de paysan·ne·s, artisan·e·s et autres dominé·e·s se lever contre l’oppression féodale et se faire massacrer pour cette raison. Radicalisant les idées de la Réforme, les insurgé·e·s demandent l’abolition du servage, la fin de certains impôts tels que la corvée ou encore le libre accès aux communs (forêts, rivières, pâturages, …). Les 500 ans de l’évènement constituent dès lors une occasion parfaite pour relire La Guerre des paysans en Allemagne de Friedrich Engels.

Raviver l’espoir démocrate
Au lendemain de l’échec de la révolution allemande de 1848-1849, qui a échoué à démocratiser et unifier l’Allemagne, Friedrich Engels entreprend la rédaction de La Guerre des paysans en Allemagne. Dans cet ouvrage publié en exil à Londres en 1850, il propose une analyse matérialiste du conflit social. Son objectif est double : d’une part, il cherche à raviver l’espoir et la combativité des démocrates allemand·e·s, qui ont été défait·e·s par les forces réactionnaires ; d’autre part, il entend démontrer, dès les premières mots de son essai, que « Auch das deutsche Volk hat seine revolutionäre Tradition », enracinant ainsi la lutte pour l’émancipation dans l’histoire de la nation allemande.

Un mouvement autant religieux que social
Friedrich Engels décrit dans son texte une Allemagne en pleine transition, où les structures féodales traditionnelles sont ébranlées par le développement du commerce, l’essor de nouvelles formes de production et la circulation accrue des idées. La Réforme joue un rôle essentiel dans ce contexte. En traduisant la bible et prêchant des idées de liberté et d’égalité, Martin Luther trouvent un écho favorable auprès des masses, qui aspirent à une société plus juste.
Radicalisant les thèses de Luther, une nouvelle pensée théologique émerge au sein des couches populaires. Des petits clercs en contact direct avec ces dernières développent une vision égalitaire des textes sacrés, affirmant que tous les êtres humains ont été créés égaux. Ils dénoncent le servage ainsi que l’accaparement des ressources naturelles par les seigneurs. Dans un contexte germanophone de profondes inégalités, cette théologie égalitaire offre une justification morale et religieuse à la révolte.

Müntzer plutôt que Luther
Martin Luther prend rapidement ses distances avec les revendications populaires. Préférant ménager les princes allemands, dont le soutien est indispensable à la réussite de la Réforme, il choisit de se ranger de leur côté et appelle à une répression sanglante de la rébellion. Il développe alors une justification théologique, arguant que si l’égalité règne au royaume des cieux, la soumission aux autorités terrestres est nécessaire ici-bas.
Vouant aux gémonies Martin Luther, Friedrich Engels met en avant un autre prédicateur, Thomas Müntzer, qui lui a rejoint les rangs des insurgés. En partie à cause la Guerre des Paysans en Allemagne, Müntzer sera érigé en héros national en RDA, et son effigie ornera même les billets de 5 marks.

Une répression sanglante
Malgré son immensité, le soulèvement populaire est rapidement réprimé dans le sang par les princes allemands. Les bandes rebelles, souvent mal organisées, peu coordonnées et manquant d’expérience militaire, sont décimées avec une brutalité extrême. Si elles parviennent à piller un nombre impressionnant de places fortes et de cloîtres, la répression s’abat sur elles, avec la destruction de nombreux villages en guise de représailles.

Il faudra se rendre en Allemagne
En plus de lire l’ouvrage de Friedrich Engels, vous pourrez également visiter les très nombreuses expositions et colloques organisés cette année sur ce thème en Allemagne. Bien que la Guerre des Paysans ait également concerné la Suisse, aucun événement de ce type n’est malheureusement prévu de ce côté du Rhin. Cependant, une exposition sur la Guerre des Paysans et l’anabaptisme s’est tenue au musée des Trois Pays de Lörrach, à la frontière bâloise, jusqu’au 25 mai 2025.

À lire : Friedrich Engels, La Guerre des paysans en Allemagne, éditions sociales, Paris, 2021.

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