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Circulez, y a rien à voir?

Le référendum contre la reconduction et l’élargissement de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) pourrait au moins avoir le mérite de poser le débat, au sein de la gauche, à son vrai niveau. Au-delà des anathèmes de racisme et de xénophobie d’une part, de social-libéralisme de l’autre, les enjeux devraient être discutés de manière argumentée, sur la base de données étayées.

L’accord des syndicats et du PS est nécessaire pour faire passer le oui, comme on l’a vu lors des votations précédentes. Dans ce cadre, le mouvement ouvrier est dans une position de force relative face au patronat pour lequel les accords bilatéraux sont d’une importance vitale. Les «mesures d’accompagnement» obtenues en échange d’un soutien répondent-elles à cette exigence fondamentale? Le bilan qui peut en être tiré est pour le moins ambigu comme notre dossier l’a souligné.

Quel bilan?

Les évolutions récentes du marché commun européen, en matière de droit du travail, sont particulièrement inquiétantes. Les affaires Viking, Laval et Rüffert entre autres (dont nous avons rendu compte dans PdG n°70) témoignent de la fonction d’une Cour de Justice des communautés européennes au service exclusif des intérêts du capital. Le marché commun ressemble de plus en plus à une jungle dans laquelle les rares protections des plus faibles (les travailleurs) sont systématiquement éliminées afin de dégager un profit maximum pour les plus forts.

Dans le cas d’un pays comme la Suisse dont le droit du travail est quasi inexistant et repose essentiellement sur une base conventionnelle (voir notre dossier sur les conventions collectives, PdG n°62 ), les mesures de protection légales des travailleur•se•s obtenues grâce aux mesures d’accompagnement sont essentielles. Encore faut-il pouvoir en analyser l’effectivité. Or cette évaluation est rendue difficile par l’absence de statistiques précises sur le marché du travail en Suisse. Les rares études effectuées ont montré une grande insuffisance des contrôles du marché du travail, avec de nombreuses entreprises en infraction, des contrôles insuffisants et des sanctions plutôt symboliques. Quant à la relation entre le niveau des salaires, l’ALCP et les mesures d’accompagnement, elle reste là encore largement méconnue.

Un non de gauche est-il possible?

Pour la droite nationaliste, l’étranger est le bouc-émissaire qui sert à justifier toutes les attaques en règle contre une politique sociale de classe. Pas étonnant donc que l’UDC se serve de la libre circulation des personnes, et surtout de son extension à la Roumanie et à la Bulgarie, pour agiter son fonds de commerce xénophobe servant à créer une pseudo «unité nationale» au profit des entrepreneurs.
La gauche ne fait pas de l’extension à deux nouveaux pays un enjeu primordial. Un traitement «différencié» de la Roumanie et de la Bulgarie par rapport aux autres Etats est une exclusivité que nous laissons volontiers à la droite nationaliste et raciste. Malgré un malentendu tenace, il ne s’agit pas à gauche de vouloir protéger le «travail suisse» ou de pratiquer la «préférence nationale» (d’ailleurs inscrite dans l’ALCP…) mais bien de construire des protections pour tou•te•s les travailleur•se•s, indépendamment de leur origine.

La gauche souhaite la libre circulation des travailleur•se•s face à un capital qui lui-même ne connaît pas de frontières. Mais ce serait prendre des vessies pour des lanternes que de faire passer sans autres le oui à l’ALCP pour un acte de solidarité internationale.

Pour quelles conséquences?

Quelles conséquences aurait alors un non de gauche lors des votation du 8 février? Il faut d’abord reconnaître l’importance stratégique essentielle pour la classe dominante de ce pays de la relation avec le marché européen. Les élites économiques suisses (en particulier les élites industrielles: 2/3 des exportations se font avec l’UE) ont un besoin vital de maintenir des relations avec l’UE sur la base d’accords bilatéraux. Dès lors, selon la bonne vieille tactique de l’UE (voir l’Irlande), un nouvel accord bilatéral serait rapidement élaboré et soumis à nouveau au vote des citoyen•ne•s suisses. Dans cette situation, le rapport de force en faveur des travailleur•se•s aura nettement augmenté et les exigences du mouvement ouvrier pèseront d’un tout autre poids dans la balance. Il sera alors possible de «vendre chèrement sa peau» en obtenant des mesures d’accompagnement substantiellement renforcées, qui comprennent, par exemple, la protection des délégués syndicaux contre le licenciement, ou une responsabilité solidaire pour l’entrepreneur principal face à ses sous-traitants.

La «clause guillotine», qui impliquerait la chute en cascade de l’entier des Accords Bilatéraux en cas de «non» le 8 février, et qui fait office d’épouvantail dans les débats, doit donc à ce titre être relativisée. L’UE veut à tout prix maintenir, voire renforcer, ses connexions avec la Suisse. Ne serait-ce que pour pouvoir garder également un œil sur un sujet qu’elle a désormais pris en ligne de mire: la politique financière et fiscale de ce pays.
 

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