Serge Gaillard •
Invité de La Matinale de la RTS de ce matin (26.06.2025), le président du groupe d’expert.e.s à l’origine du programme d’allègement 2027 a défendu les choix austéritaires du Conseil fédéral. En février 2003, lorsque qu’il était encore secrétaire général de l’Union syndicale suisse (USS), Serge Gaillard avait écrit dans nos pages pour défendre une politique économique d’investissement en période de basse conjoncture, à l’opposé d’une logique budgétaire restrictive. Les similarités entre 2003 et aujourd’hui sont frappantes : incertitude internationale face à une nouvelle guerre au Moyen-Orient, problème du franc fort, ou encore prolongations du chômage partiel.
La crise est de retour. Pour en sortir il faut revendiquer un programme de relance de la Confédération ainsi qu’une politique monétaire qui favorise l’emploi.
La crise économique actuelle trouve son origine aux États-Unis quand au début de l’année 2001 les investissements ont fortement chutés. A peine trois mois plus tard, la production industrielle suisse a commencé à se contracter en raison de la diminution des exportations et depuis l’été 2001 l’économie suisse stagne.
La position suisse
Dans la négociation, le gouvernement suisse avait précisément proposé un impôt anticipé de 35 % sur les intérêts du capital déposé en Suisse par un ressortissant UE, impôt reversé à I’UE ou au pays d’origine. Cette solution était une réponse non négligeable à la non-imposition des intérêts du capital, mais elle passait à côté de l’essentiel : le système de l’impôt à la source ne permet pas de déceler l’origine du revenu non-déclaré. Bref, la fraude fiscale originaire reste impunie, raison pour laquelle la proposition helvétique n’était pas une offre équivalente au système d’échange d’informations.
Toutefois, la place financière suisse est encore très loin d’avoir sauvé son secret bancaire. La réglementation particulière européenne pour l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique vont jusqu’en 2010, date à laquelle elle sera remise en cause.
De plus, les négociations sur les bilatérales II vont maintenant continuer et on peut prévoir que l’UE demandera quand même à la Suisse quelques coups de canif dans la construction très particulière du secret bancaire helvétique. Cela d’autant plus que le secret bancaire suisse a aussi empêché jusqu’à maintenant un accord sur la question de la fraude en matière douanière.
La crise de surinvestissement classique touche l’industrie d’exportation
La récession aux États-Unis s’est aussi rapidement diffusée au niveau mondial parce que le Japon se trouve engouffré dans une crise de déflation depuis le milieu des années 1990 et que la politique économique menée dans la zone euro n’a pas essayé de compenser activement la chute des exportations par des baisses des taux d’intérêt et des dépenses publiques supplémentaires. Comme l’industrie suisse produit surtout des biens d’investissement, elle a été particulièrement affectée par cet effondrement. Or, la situation s’est encore empirée suite à la forte appréciation du franc suisse face à l’euro. Depuis que le taux de change entre I ‘euro et le franc suisse se situe en dessous de 1,55, la compétitivité-prix des entreprises suisses s’est nettement détériorée par rapport aux concurrents européens.
Plusieurs facteurs ont prolongé la crise économique mondiale : premièrement, les mensonges et magouilles dans les étages de la direction des grandes multinationales ont ébranlé la confiance des investisseurs qui n’accordent plus des crédits ou du capital propre aux entreprises qu’avec réticence ou en en augmentant le coût. Deuxièmement, la paralysie économique et politique provoquée par la peur d’une guerre en Irak est énorme. Depuis l’été dernier, les prix du pétrole ont fortement augmenté et les entreprises ne semblent pas prêtes d’accroître leurs investissements sans connaître les répercussions économiques d’une éventuelle guerre. Troisièmement, la Banque Centrale Européenne (BCE) n’a presque pas réduit ses taux d’intérêt – contrairement à la Banque nationale suisse par exemple – et a renoncé à soutenir la demande intérieure dans les pays ayant introduit I’euro, Conséquence : I’activité économique stagne dans la zone euro alors qu’elle a dû augmenter fin 2002 aux États-Unis d’environ 2,5%o comparé à l’année précédente – malgré tous les facteurs négatifs évoqués.
Une politique de I’euro passive
Les perspectives sont donc extraordinairement désagréables. Même aux États-Unis, les indicateurs économiques ne signalent pas que les investissements des entreprises croîtront et que la reprise conjoncturelle reposera ainsi sur une base plus large. En ce qui concerne la zone euro et en partiniculier I’Allemagne, on a actuellement plutôt I’impression que ces économies sont retombées dans une récession. Dans ce contexte, l’Europe aurait besoin d’une politique de croissance déterminée. La BCE devrait encore une fois fortement réduire ses taux d’intérêt alors qu’une politique d’investissement coordonnée dans les infrastructures européennes pourrait relancer la conjoncture. Malheureusement, ce genre de propositions sont actuellement utopiques. La BCE s’est comportée de manière très passive tout au long de la crise et n’a jamais porté à croire qu’elle faisait sienne la tâche de stabiliser la croissance économique et l’emploi. Le pacte de stabilité contraint la plupart des États de mener une politique d’austérité inopportune – seule la France s’y oppose à l’heure actuelle. On ne peut dès lors point s’attendre à ce que la politique économique européenne combatte une nouvelle rechute.
En Suisse, l’évolution économique a heureusement été stabilisée jusqu’à fin 2002 grâce à une demande soutenue en biens de consommation, la hausse marquée des salaires réels durant ces deux dernières années y ayant également contribué. Jusqu’à la fin de l’année dernière la conjoncture a aussi été stabilisée par les dépenses publiques qui ont fortement augmenté en 2001 et 2002. Or, ces facteurs de soutien devraient maintenant disparaître.
Que peut faire la politique économique ?
Face à cette situation, nous pouvons identifier cinq domaines qui jouent un rôle-clef dans la perspective d’une reprise économique en Suisse.
Premièrement, les exportations seront décisives pour la reprise conjoncturelle. Aussi longtemps que l’économie européenne ne croît pas du tout ou presque pas, les perspectives pour l’économie suisse restent sombres, raison pour laquelle il est central que la compétitivité-prix des entreprises suisses par rapport à la zone euro ne soit pas encore davantage hypothéquée par un franc surévalué. Depuis mai 2002, la direction de notre banque nationale lutte avec détermination et succès contre toute appréciation supplémentaire du franc face à I’euro. Malgré cela le franc reste trop fort. Vu la morosité de la situation conjoncturelle, un taux de change entre 1,53 et 1,55 serait plus approprié que le taux actuel d’environ 1,4ó francs suisses par euro. Il est tout à fait réaliste que le franc se déprécie (à nouveau) jusqu’à ce niveau. Les investisseurs et les courtiers en devises doivent savoir qu’ils ne peuvent pas s’attendre à une nouvelle réévaluation du ranc car la banque nationale l’empêcherait. Des déclarations d’intentions et des actions encore plus marquées que jusqu’à présent seront nécessaires pour empêcher une appréciation du franc et pour entraîner un affaiblissement de ce dernier face aux instabilités qui menacent en raison du danger de guerre en lrak. Ainsi, le franc perdrait de son attractivité comme monnaie de placement.
Deuxièmement, l’évolution de la demande intérieure est également centrale. Tous les indicateurs annoncent un affaiblissement de la demande de consommation. Nous ne sommes malheureusement pas parvenus à imposer la suppression des primes d’assurance-maladie pour les enfants. Toutefois, le Conseil fédéral a au moins réduit le taux de cotisation à l’assurance-chômage d’un demi-point. Pour l’année 2004, les revenus des ménages doivent être déchargés de primes d’assurance-maladie en hausse, soit moyennant la suppression des primes par enfants ou alors par un moratoire provisoire sur les augmentations des primes accompagné de mesures de maîtrise des coûts.
Troisièmement, les investissements sont fondamentaux pour l’évolution conjoncturelle. Dans ce contexte, il est impératif que le Conseil fedéral encourage les exécutifs des villes et les cantons à inciter les coopératives de construction de logements et les sociétés immobilières à réaliser rapidement les projets de construction prêts à être mis en œuvre. Il incombe au Conseil fédéral d’assumer un rôle de direction. Les crédits hypothécaires peuvent aujourd’hui être obtenus facilement et à bon marché. Si l’économie ne devait pas se redresser dans les prochains mois, il faut un programme d’investissement dans la construction de logements. On pourrait prévoir une contribution à l’investissement pour toutes les coopératives de construction à but non lucratif et pour les caisses de pension, sous condition qu’elles entament des projets de construction avant la fin de l’année 2004.Les communes et les cantons devraient recevoir des incitations financières supplémentaires de la part de la Confédération afin d’augmenter leurs activités d’investissements en 2004 au lieu de les réduire.
Quatrièmement, à partir du milieu de I’année en cours, la durée d’indemnisation de l’assurance-chômage pour les personnes de moins de 55 ans sera réduite à 400 jours. Une situation de fin de droit menace ainsi plusieurs milliers de personnes. La nouvelle loi prévoit que tout canton connaissant un important taux de chômage puisse prolonger – de manière temporaire – la durée d’indemnisation à 520 jours s’il le demande et s’il est prêt à financer 20% du coût supplémentaire. Les cantons avec un chômage élevé devrait insister sur cette augmentation transitoire de la durée d’indemnisation. De leur côté, les entreprises ne doivent pas licencier hâtivement mais plutôt recourir au chômage partiel. Dans ce domaine, la Confédération vient de prolonger la durée d’indemnisation à 18 mois.
Cinquièmement, le frein à I’endettement doit être repensé. Sans un nouveau calcul des déficits conjoncturels permis, les autorités fédérales seraient obligées de démarrer un programme d’économies sans précédent. Les parties du programme d’ économies présenté par le Conseiller fedéral Villiger ne posant pas de problèmes pourraient être décidées cette année encore, mais le programme doit seulement être appliqué en période de haute conjoncture, c’est-à-dire pas avait 2005/2006. Dans ce contexte, il va de soi que I’indice mixte pour I’AVS ne doit pas être aboli.
Illustrations : admin.ch, 2003, le Conseil fédéral in corpore (de gauche à droite) : la conseillère fédérale Ruth Metzler, le conseiller fédéral Joseph Deiss, le conseiller fédéral Kaspar Villiger, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger, le président de la Confédération Pascal Couchepin, le conseiller fédéral Samuel Schmid, la chancelière de la Confédération Annemarie Huber-Hotz