Tourisme de masse

Léo Tinguely •

Le tourisme est une pratique qui peut s’avérer profondément aliénante et destructrice. Si nos capacités d’action dans le domaine sont somme toute restreintes, cela ne doit pas nous empêcher de nous questionner sur la forme que doivent revêtir des pratiques souvent réduites à la simple question du mode de transport.


Ici, pas de citation mielleuse sur les présumés bienfaits du voyage pour illustrer cet article. À l’inverse, le voyage et sa forme la plus conventionnelle, le tourisme, sont considérés pour ce qu’ils sont; c’est-à-dire ni plus ni moins que des pratiques sociales. Historiquement, le voyage a longtemps constitué l’unique propriété des bourgeois·e·s qui seul·e·s bénéficiaient de temps libre. L’essence du tourisme sont les vacances et les congés payés. Ceux-ci furent introduits en Suisse par la Confédération en 1879, mais ne concernent alors seul huit pourcents des ouvrier·e·s

Il faut attendre 1964 et son ancrage minimum de deux semaines au niveau fédéral dans la loi sur le travail pour voir les vacances se démocratiser. C’est le début de la massification du tourisme. Il convient de rappeler que si les congés payés ont été acquis de haute lutte, les vacances, à l’image de la pause, s’inscrivent aussi dans la logique capitaliste en permettant la reproduction du travail. Aujourd’hui, le tourisme constitue toujours non pas une norme, mais bien un privilège. À l’échelle mondiale, seule une personne sur trente effectue chaque année un voyage à l’étranger.

Un tourisme de masse destructeur et aliénant

Cela est pourtant déjà suffisant pour entraîner des conséquences écologiques et sociales désastreuses qui ne sont plus à démontrer. En tant que pratique sociale, le tourisme de masse ne représente qu’une routine formatée. En effet, l’entier de votre séjour est orchestré, des restaurants où vous mangerez aux hôtels où vous allez dormir en passant par les sites que vous visiterez et les transports que vous emprunterez. Que dire alors des «continental breakfast» commandables dans la quasi-totalité des hôtels du monde. Dans cette quête de confort et de ce sentiment de se sentir chez soi, on est ici bien loin du dépaysement promis. Aujourd’hui, cette vision du tourisme ne profite qu’aux grandes industries capitalistes, au détriment des populations locales. Si bien qu’à Barcelone ou Venise, voilà des années que la colère gronde parmi les habitant·e·s. Hors Europe, dans les pays que nous décrivons avec un ethnocentrisme profond comme orientaux, le tableau est encore plus sombre.

L’idée que le tourisme est source d’opportunités et de développement pour ces pays est non seulement fausse mais pire, elle est utilisée comme cache-misère. Elle constitue le voile d’une exploitation économique et sociale sans borne. Partout, dans des rapports de domination exacerbés aux forts relents colonialistes, des régions, des îles voire même des pays tout entier se retrouvent à la solde de touristes occidentaux.

Voyager autrement

Si voyager reste faire état d’un privilège, il demeure possible de l’effectuer de manière plus intelligente et plus respectueuse. Il convient alors de prendre conscience que tourisme ne rime pas avec confort et que l’enrichissement se crée dans la présence à autrui, dans la reconnaissance de l’autre dans son étrange étrangeté. Pour en finir avec son ethnocentrisme, les voyages individuels me semblent pertinent. J’ai, durant mes voyages seul en Chine notamment, constamment cherché à délaisser les lieux huppés et touristiques pour rechercher le contact, sans m’imposer pour autant.

«Faire avec» plutôt que «laisser et regarder faire» me paraissait alors un bon mot d’ordre. Avec du recul, je considère ces voyages comme transformateurs, comme m’ayant permis de renverser mon regard, de mieux comprendre la réalité de l’autre et d’élargir ma vision des luttes. Mais d’une certaine manière, j’en garde aussi un goût amer en ayant la ferme impression que tout cela relevait finalement de la simple et éphémère expérience sociale.

Ainsi, c’est de savoir que j’allais prochainement retrouver mon mode de vie précédent et mon confort qui me permettait de tenir et de vivre véritablement ces situations comme un enrichissement. Ce type de voyage ne constitue évidemment pas la seule manière légitime de voyager et exige des capitaux culturels et financiers que tou·te·s n’ont pas. Cette illustration nous montre néanmoins qu’il est possible de se rapprocher de vacances écologiques et solidaires, mais que cela ne semble pas pleinement réalisable.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 176 (été 2020).

Crédits image: Markus Spiske sur Unsplash.

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