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Quelle «décroissance» pour la gauche?

Si le constat d’une crise environnementale et sociale est largement partagé à gauche, les solutions à cette double crise manquent dramatiquement d’imagination. Petite ébauche d’un programme éco-socialiste alternatif.

Avec cette page programmatique, nous souhaitons reprendre à notre compte le célèbre aphorisme de Karl Kraus: «On invente l’avion, mais l’imagination se traîne encore à l’allure de la diligence». Remettons joyeusement l’imagination au pouvoir et esquissons, autour des questions du travail, des besoins et des conditions de production, les contours d’une alternative politique éco-socialiste.

Sortie du travail

Un objectif classique de la gauche socialiste est celui de la libération du travail; il rejoint les demandes écologiques de réduction de la production. Les niveaux de productivité extrêmement élevés atteints aujourd’hui permettraient de réduire massivement le temps de travail. Comme le disait le syndicat français CFDT dans les années 1970: «Travailler moins pour travailler tous – et vivre mieux!». Pourtant il n’en est rien. Car l’accroissement de la richesse produite par heure travaillée va dans la poche du capitaliste plutôt que dans celle du-de la travailleur/ se. Le système industriel conduit également à l’aliénation, à l’absence de contrôle du travailleur, qui n’est qu’un rouage de la machine, sur son produit. La critique des outils, la discussion des choix techniques, devient nécessaire car le capitalisme exerce sa domination à travers des techniques qui servent sa logique. Ainsi, « l’inversion des outils» (André Gorz) est une condition impérative du changement.

La reconquête de l’autonomie passe donc par une réduction massive du temps de travail, une nouvelle organisation de la production centrée sur le travailleur (démocratie économique, auto-gestion, libre gestion du temps de travail, contrôle le plus complet possible sur l’objet à produire, etc.) et une nouvelle organisation de la consommation centrée sur les besoins réels des consommateurs (élaboration démocratique de plans de production…).

Du côté des besoins

Nos besoins matériels sont limités, mais pas nos besoins immatériels (amour, affection, reconnaissance, etc.). Comme le capitalisme est un système de croissance, la publicité est nécessaire afin de vendre toujours plus de marchandises qui n’apparaissent pas comme nécessaires. La publicité ne sert donc qu’à projeter des besoins matériels limités sur des besoins immatériels jamais satisfaits. Par exemple, les publicités qui font croire que l’achat d’une voiture neuve permettra d’être plus heureux.

Du point de vue éco-socialiste, la critique des besoins est essentielle, elle permet de distinguer le nécessaire du superflu. Ce faisant, il devient possible de réduire à la fois les inégalités sociales et les dégradations environnementales. La réduction (voire l’interdiction) de l’agression publicitaire, la lutte contre l’obsolescence planifiée (e.g. les téléphones portables qui ne durent qu’une année), la diminution des gaspillages sont des mesures simples et cohérentes qui, outre la réduction des quantités produites, contribuent à rompre le « lien entre le plus et le mieux».

Du côté des « conditions de production »

La réduction de la distance entre le-la travailleur-se et ses outils de production ont des conséquences immédiates sur la localisation des activités économiques. Cela implique donc la création d’emplois près des lieux d’habitation. Et un développement des transports publics collectifs, au détriment de la voiture individuelle. Il en résulte une réduction de la mobilité motorisée (et un accroissement de la mobilité douce) et du stress qui en découle, ainsi qu’une réduction des flux de marchandises. L’aménagement du territoire n’est donc plus au service de la croissance économique (dézonage, bétonnage, etc.) mais au contraire retrouve un rôle d’organisateur de la production et de planification rationnelle (c’est-à- dire économe) de l’espace. La suppression des zones «villa» est une mesure de salubrité publique, de même que l’interdiction de construire des centres commerciaux géants en banlieue. La production de logement social, confortable, beau et spacieux est une nécessité.

L’Etat intervient de manière plus prononcée pour interdire certaines activités nocives et certains types de production (e.g.: la fabrication d’armes,…), mais soutient au contraire des activités bénéfiques dont la rentabilité économique pourrait ne pas être immédiate (e.g.: production décentralisée d’énergie renouvelable, production biologique, etc.)

Du temps libre aux loisirs

La réduction massive du temps de travail salarié a deux effets conjoints et bénéfiques. Premièrement, il accroît le temps à disposition pour le travail domestique, ce qui facilite une répartition égalitaire des tâches domestiques. Deuxièmement, il accroît le temps de loisir, qui doit être compris non pas comme une extension de la soumission à la logique marchande (shopping, télévision commerciale, parcs d’attraction, etc.) mais comme une extension de la sphère de l’autonomie (culture, jardinage, bricolage, etc.).

Le réformisme de croissance a le nez dans le guidon. Il est plus que temps pour la gauche de réfléchir sérieusement aux alternatives à un système qui détruit les êtres humains, et la terre qui les abrite.

Mathieu Gasparini et Romain Felli

Article paru dans Pdg no 64


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