Présidentielle portugaise: Une occasion manquée pour la gauche

Joakim Martins ·

Près de onze millions de citoyen·ne·s portugais·es étaient, aujourd’hui 24 janvier 2021, appelé·e·s à désigner la·le président·e de leur République. Elles et ils ont très largement réélu – avec plus de 60% des suffrages exprimés – le président conservateur sortant Marcelo Rebelo de Sousa. Le gouvernement socialiste et la majorité parlementaire de gauche dont il est l’émanation devront cohabiter cinq ans de plus avec « Marcelo ». Ce scrutin démontre également que l’extrême droite (qui réalise un score de presque 12%) n’a jamais disparu du pays et que les stratégies politiques du Parti socialiste portugais sont toujours aussi décevantes et peu combatives.


Le rôle primordial du président

L’actuelle République portugaise, qui est née des cendres de l’Estado Novo et des mobilisations de la Révolution des Œillets, est un régime semi-présidentiel. En effet, le pouvoir exécutif est réparti au Portugal entre la·le président·e directement élu·e par le corps électoral et la·le Première·ier ministre désigné·e par la présidence de la République et confirmé·e par le Parlement. Si c’est bel et bien le gouvernement, sous la houlette de la·du Première·ier ministre, qui dirige le Portugal, la présidence de la République n’est pas pour autant une fonction symbolique. La constitution portugaise de 1976 accorde effectivement à la·au président·e d’importantes prérogatives. Elle·il peut dissoudre le Parlement, nomme la·le Première·ier ministre et dispose d’un droit de véto. Si la·le président·e refuse de promulguer une loi votée par le Parlement, cette dernière doit être reconfirmée par une majorité absolue (et non plus relative). Néanmoins, dans le cadre d’une loi organique (une loi qui règlemente le fonctionnement de l’État, p. ex. la loi organique sur le Service national de santé) une majorité parlementaire de deux tiers est nécessaire pour surmonter un véto présidentiel. Dès lors, le système politique portugais accorde un rôle primordial, bien que non central, à la présidence de la République. Un·e président·e, dont la couleur politique diffère de celle du gouvernement au pouvoir, peut sérieusement entraver l’action parlementaire de ce dernier en usant de son droit de véto ou en contrôlant l’agenda politique. De plus, contrairement au système italien ou allemand, les prises de position et les interventions politiques de la·du président·e sont particulièrement légitimes du fait de son élection au suffrage universel direct.

Une droite en débâcle et un PS (quasi) seul au pouvoir

En octobre dernier, le Parti socialiste portugais, gagnant vingt-deux sièges supplémentaires, est largement arrivé en tête des élections législatives. 108 parlementaires sur les 230 que compte le Parlement monocaméral du Portugal sont désormais issus des rangs socialistes. La droite, qui perd en tout vingt-trois sièges, s’est effondrée. Ces élections voient malheureusement, pour la première fois depuis la Révolution, l’élection d’un député d’extrême droite. Frisant la majorité parlementaire absolue, le principal parti de gauche est désormais en position de force. Le Premier ministre sortant António Costa refuse alors de prolonger l’accord de gouvernement qui liait précédemment sa formation politique au Bloc de gauche et au Parti communiste (pour une critique détaillée du bilan de cette coalition, voir Pages de gauche n° 172). Désormais, le PS sondera pour chaque projet de loi les autres partis de gauche afin de savoir s’il lui est possible de rallier les quelques voix le séparant de la majorité. Que les socialistes puissent désormais plus ou moins gouverner seuls n’est pas nécessairement la meilleure des nouvelles, le parti ayant été par le passé l’un des grands défenseurs de l’austérité.

Un président profondément conservateur

Marcelo Rebelo de Sousa, affectueusement surnommé « Marcelo », a été élu le 24 janvier 2016 président de la République portugaise dès le premier tour. Il a notamment profité de la liberté de vote que PS avait accordée à ses membres, de la multiplication des candidatures de gauche (quatre, dont une membre du PS non soutenue par son propre parti) et de la notoriété publique qu’il a acquise en tant que chroniqueur politique à la télévision. Bien qu’il se présente en tant qu’indépendant, Marcelo Rebelo de Sousa est l’ancien président du principal parti de droite du pays. En outre, « Marcelo » est le fils d’une figure politique de la dictature salazariste et le filleul de Marcelo Caetano, le dictateur ayant succédé à António Salazar à la tête de l’Estado Novo, à qui il doit son prénom… La cohabitation entre le président de droite Rebelo de Sousa et le Premier ministre de gauche Costa s’est déroulés sans gros accros. Néanmoins, « Marcelo » n’a pas non plus hésité à utiliser ses prérogatives présidentielles lorsqu’il était en désaccord politique avec le gouvernement. Il a notamment bloqué à plusieurs reprises des réformes allant à l’encontre des dogmes prônés par l’Église catholique portugaise. Il a, en effet, mis son véto à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), au changement de sexe à l’état civil, à l’adoption pour les couples de même sexe ou encore à la dépénalisation de l’euthanasie. Même si ces vétos présidentiels ont tous pu être surmontés, ceux-ci ont ralenti le travail parlementaire, mobilisé l’électorat réactionnaire et forcé le gouvernement à faire certains compromis. Cependant, les projets socialistes de décentralisation du pouvoir politique et de réforme du système de santé ont été définitivement enterrés par Rebelo de Sousa. Le président conservateur s’est, durant son mandat, révélé être, entre autres, un défenseur acharné des intérêts de l’Église et du secteur privé de la santé.

Le PS refuse le combat

Étant donné la popularité et la prime au sortant dont bénéficie Marcelo Rebelo de Sousa, le résultat de l’élection était connu d’avance. Le président sortant a été très largement réélu au premier tour. Le taux abstention, qui s’élève à plus de 60%, est particulièrement élevé. Ce dernier s’explique en grande partie par l’actuel contexte sanitaire (la population est confinée et les écoles fermées) et la réélection assurée de Rebelo de Sousa. Le score des trois candidat·e·s de gauche (13% pour Ana Gomes, membre de l’aile gauche du PS, 4,3% pour João Ferreira du Parti communiste portugais et quasi 4% pour Marisa Matias représentante du Bloc de gauche) est décevant. Toutefois, sans le soutien actif de l’appareil de parti du PS portugais, qui a encore une fois laissé la liberté de vote à ses sympathisant·e·s, il était impossible pour Ana Gomes de provoquer un second tour. André Ventura, le seul élu national d’extrême droite, réalise un score préoccupant d’environ 12%. La campagne présidentielle a offert à Ventura la tribune dont il rêvait. Lors de cette dernière, il a notamment proposé, sur des critères ethniques, le confinement de la communauté gitane, une minorité nationale cible de nombreuses discriminations. Dans son programme, l’admirateur de Salvini et de Le Pen a proposé d’en finir avec l’actuelle constitution héritée de la révolution des Œillets, de réduire le nombre de ministères et de député·e·s, de supprimer le rôle de Première·ier ministre et d’augmenter et de centraliser les pouvoirs de la·du président·e. L’extrême droite, qui n’a pas miraculeusement disparu du pays avec l’avènement de la démocratie, se sent de nouveau légitime à exprimer publiquement ses idées. Pour rappel, elle a été aux commandes du pays jusqu’en 1974 et Macao n’a été décolonisé qu’en 1999. Le Portugal n’a, par ailleurs, toujours pas effectué le nécessaire travail de mémoire qu’impose son très lourd passé colonial. On considère encore en effet que Pedro Álvares Cabral aurait « découvert » le Brésil et que les colonies portugaises n’auraient absolument eu rien à voir avec celles de la France ou du Royaume-Uni. Alors que la droite portugaise est en perdition, que l’extrême droite redevient légitime et que le pays vit une crise sanitaire sans précédent, le PS est resté dans l’attentisme. L’élection présidentielle aurait pu être une magnifique occasion pour la gauche de frontalement croiser le fer avec l’extrême droite, d’enfin parler du passé colonial du pays, d’attaquer les positions conservatrices de Marcelo Rebelo de Sousa et de proposer un modèle alternatif de société. Cela porterait presque à croire que la cohabitation avec « Marcelo » ne dérange pas tant les sociaux-démocrates au pouvoir, le premier pouvant servir d’excuse aux second·e·s pour refuser les réformes trop audacieuses que pourraient proposer le Bloc de gauche ou le Parti communiste.

Crédit image : « Lisbon, taking a picture of a streetcar, in front of a mural fresco of the carnation revolution » par Jeanne Menjoulet sous licence CC BY-ND 2.0.

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