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Les inepties contre l’initiative pour des multinationales responsables

Léo Tinguely •

Le 29 novembre prochain, nous voterons sur l’initiative pour des multinationales responsables. Son principe est simple : lorsqu’une multinationale viole les droits fondamentaux ou environnementaux, elle doit en être tenue responsable. De manière concrète, l’initiative a pour but l’introduction dans la Constitution d’un devoir de « diligence raisonnable ». Ainsi, les entreprises suisses devront désormais identifier les risques que présentent leurs activités pour les droits humains et l’environnement, prendre des mesures pour les pallier et finalement rendre des comptes.

En ce début de campagne, voilà un tour d’horizon des principales inepties que nous allons entendre sortir de la bouche des opposant·e·s jusqu’au 29 novembre. Tâchons donc de rétablir d’emblée quelques faits.

« Les multinationales suisses sont déjà responsables »

Le caractère fallacieux de cette première proposition est d’une clarté presque limpide. Pourtant, les représentant·e·s de Glencore ou autre Syngenta ne manqueront pas de se succéder pour tenter de nous faire avaler que les multinationales suisses constituent l’allégorie même d’une Suisse rayonnante sur le reste du monde. Rappelons rapidement que les cas parfaitement documentés incriminant les multinationales suisses sont légion. Ainsi, pour étendre ses mines, la première des deux entreprises mentionnées expulse des milliers de Péruvien·ne·s de leurs terres tandis que la deuxième déverse ses pesticides dans les cours d’eau indiens. Si bien que la Suisse fait partie du peu reluisant classement mondial des dix pays dont les multinationales sont les plus activement dénoncées pour leurs abus1. Aujourd’hui, 61,5% des 200 multinationales les plus importantes de notre pays ne possèdent tout simplement aucune politique en matière de droits humains2. Il s’agit de se défaire immédiatement du mythe de multinationales œuvrant pour la prospérité en faisant vivre des millions de familles.

« Les PME en seront les premières victimes »

Invoquer en toute circonstance des pertes massives pour les petites et moyennes entreprises (PME) suisses est depuis longtemps le mantra d’economiesuisse. Rien de bien étonnant à ce que les prophètes du lobby économique nous prédisent de funestes conséquences pour ces dernières. La réalité est radicalement différente et l’initiative aura sur elles le même effet que de l’eau glissant sur les plumes d’un canard : aucun. À l’exception d’une minorité d’entreprises actives dans de secteurs jugés à haut risque tels l’extraction de cuivre ou d’or, les PME ne sont absolument pas concernées par l’initiative. Et quand bien même une PME violerait les droits humains, il serait parfaitement souhaitable que celle-ci ait à répondre de ses actes, qu’elle possède deux employé·e·s ou 230. Rien ne justifie une quelconque immunité.

« L’initiative est néocolonialiste, c’est sur place que les entreprises doivent rendre des comptes »

Alors que leur modèle économique repose sur la pollution de ressources naturelles, la spoliation de biens et l’exploitation de la main-d’œuvre des pays pauvres, les multinationales et la droite tentent l’incroyable tour de force d’inverser les rôles en accusant les initiant·e·s de néocolonialisme. Dans cette absurdité, rappelons encore qu’en possédant leur siège social en Suisse et non dans les pays où se situent leurs productions industrielles, les multinationales privent annuellement les pays les plus pauvres de 30 milliards de recettes fiscales3. Afin de préserver leur impunité, elles usent et abusent de systèmes judiciaires médiocres et de politiques parfois corrompues qui ne permettent pas de procédures justes.

Alors que les multinationales ne se privent pourtant pas d’imposer leurs règles et leurs conditions à tout un chacun, l’initiative ne vise pas à imposer le droit suisse au monde entier. Elle a pour simple but de garantir le respect des droits humains internationalement reconnus (Pacte de l’ONU I et II, huit conventions fondamentales de l’OIT) et des normes environnementales internationales (toute norme élaborée en dehors de nos processus législatifs nationaux). 

« L’initiative cherche à inverser le fardeau de la preuve »

Ultime calomnie, la supposée transformation profonde de notre système de justice qui chargerait désormais l’accusé·e de fournir les preuves de son innocence. Cela relève bien sûr du fantasme. Que ce soit dans le texte d’initiative ou dans la communication des inititiant·e·s, il n’est pas une seule fois question de renversement du fardeau de la preuve. Les personnes lésées devront toujours prouver qu’elles ont subi un dommage juridiquement répréhensible. Même si la rédaction de Pages de gauche apprécie beaucoup les histoires à la David contre Goliath, il y a fort à parier qu’un pêcheur péruvien ne puisse pas triompher si aisément de l’entier de l’appareil juridique d’une multinationale dont le chiffre d’affaires additionne les milliards.

Des méthodes tout autant abjectes

La campagne face à des opposant·e·s aux moyens illimités et à la morale toute relative, à l’image d’une Isabelle Chevalley venue se pavaner en boubou sur le plateau de Forum pour nous conter, avec ce qu’il fallait de (néo)colonialisme et de paternalisme, son amour de l’Afrique, s’avérera sans nul doute longue et pénible. Comment ne pas évoquer non plus les présumés sites de « fact checking » neutres et objectifs grassement sponsorisés par les lobbys économiques qui envahissent dorénavant le web lorsque l’on tente de lancer la moindre recherche sur le sujet.

En face et avec avant tout de l’engagement humain, les plus de 110 organisations à l’origine du texte, incluant l’Unicef et Amnesty International, n’auront pourtant pas perdu de temps pour lancer la campagne. Voilà en effet des mois, voire des années, que fleurissent un peu partout, aux bords des fenêtres comme sur l’arrière des vélos, les désormais bien connus drapeaux oranges appelant à se prononcer en faveur de l’initiative. Pour permettre de limiter et de sanctionner les pratiques sans scrupules des multinationales, il ne reste désormais qu’à confirmer cette longueur d’avance lors du vote du 29 novembre. Cela passera nécessairement par la démonstration de l’absurdité et de la mauvaise foi du discours et des méthodes des opposant·e·s.


1. https://www.greenpeace.ch/fr/story-fr/21349/140000-signatures-pour-des-multinationales-responsables/

2. https://brotfueralle.ch/content/uploads/2016/03/Pain-pour-le-prochain-Action-de-Carême_Etude_Entreprises-suisses2.pdf.

3. Hans Baumann, Beat Ringger, « Unternehmenssteuern : Schweiz raubt anderen Ländern jährlich CHF 29.2 bis 36.5 Milliarden Steuereinnahmen », Denknetz-Working paper, septembre 2012.

Pour aller plus loin, le site de l’initiative : https://initiative-multinationales.ch/

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