La santé ne peut être privée

Stéphanie Pache •

Dans les années 1970 et 1980, aux États-Unis, une bande d’étudiant·e·s, chercheuses·eurs et enseignant·e·s qui n’hésitait pas à citer Marx et Lénine anima un mouvement qu’elles et ils ont baptisé «La science pour le peuple» (Science for the people).


Durant cette période de militantisme en faveur des droits civiques et antimilitariste, la nécessité de démocratiser la science fut perçue de manière aiguë. Il s’agissait de défendre une science au service de tou·te·s, et non au bénéfice du complexe militaro-industriel, ou des groupes sociaux dominants. Le mouvement promouvait une approche scientifique des êtres humains comme des organismes sociaux, résultat de leur socialisation, et non celui de leur gènes, de leurs hormones, ou de leur cerveau. Il s’opposait aux recherches individualistes, réductrices et déterministes, et à leur justification de la situation inégalitaire existante.

Un hygiénisme bienfaisant

Cette vision individualiste domine encore grandement les recherches scientifiques et la façon dont on conçoit la santé. Pourtant, nombreuses sont les données démontrant non seulement l’influence des facteurs sociaux pour la santé, mais leur prépondérance sur d’autres facteurs individuels. C’est d’ailleurs la prise en compte de l’environnement de vie qui a amené les améliorations les plus importantes en terme de santé et de mortalité, en particulier les mesures d’hygiène qui ont limité la propagation des maladies infectieuses : les mesures de luttes contre la tuberculose, interdisant notamment le crachat, la désinfection qui a fait chuter la mortalité chirurgicale et obstétricale, ou les pratiques d’hygiène des mains, contre les infections acquises lors de soins, ou, comme aujourd’hui, contre une pandémie.

Il nous faut admettre que la santé n’est pas individuelle et que nos états de santé sont socialement co-construits et donc interdépendants : les effets de la nutrition, de nos conditions d’habitation, de travail, et d’accès aux soins façonnent bien plus notre état de santé que nos gènes, contrairement aux idées colportées par la biologie déterministe. Se soucier de la santé collective est un programme politique de gauche. Les mouvements de groupes sociaux opprimés (antiracistes, féministes, queers, de migrant·e·s, de pauvres, etc.) ont d’ailleurs systématiquement dû organiser des cliniques pour les leurs, car les programmes traditionnels perpétuaient leur oppression à la fois de par l’usage de connaissances et de pratiques discriminatoires, et par le manque d’accès à ces prestations, voire le refus de soin.

L’hygiénisme n’est pas un eugénisme

La santé de la population dans son ensemble, c’est également l’enjeu des programmes de vaccination. On ne sait quand le vaccin contre le virus actuel sera disponible. Mais l’on aurait été en meilleure position, voire déjà en possession d’un produit efficace, si, au lieu de laisser des entreprises privées et leur recherche de profit dicter la recherche pharmaceutique, nous avions des infrastructures publiques non seulement de recherche, mais de production et de diffusion des traitements et des vaccins. Il est terrifiant de constater qu’aucune équipe de recherche sur ce vaccin n’est indépendante d’une entreprise privée, nous obligeant de fait à le commercialiser. Cette situation alimente les délires complotistes contre les vaccins et une méfiance générale à leur égard.

La santé pour le peuple

Les personnes qui pensent que l’on ne peut se fier à ces opportunistes diaboliques devraient se joindre à notre appel à la nationalisation des entreprises pharmaceutiques, qui permettrait non seulement de produire ce qui est utile au peuple dans son ensemble, mais aussi de contrôler les modes de production, la qualité des essais cliniques, et la fiabilité des connaissances soutenant l’usage d’un nouveau produit, notamment un vaccin.

Il faudra ainsi se rappeler au-delà de la pandémie que la santé est collective et que nous n’existons pas sous une forme atomisée. C’est tout le paradigme individualiste qu’il faut jeter à la poubelle pour restructurer de façon sociale et démocratique la recherche pharmaceutique, médicale, biologique, même fondamentale, l’industrie pharmaceutique, et la santé.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 176 (été 2020).

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