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La citoyenneté au jour le jour, ici ou ailleurs

Line Rouyet •

La citoyenneté a plusieurs visages. L’engagement citoyen comprend bien plus qu’une reconnaissance légale, une appartenance nationale ou un droit de vote et d’éligibilité. Nous proposons quelques réflexions sur l’écart entre la réalité quotidienne de l’acte citoyen et son implémentation formelle.


La citoyenneté de la Grèce antique comprenait un ensemble de droits et devoirs civiques et politiques permettant de contribuer collectivement à la vie de la Cité. L’idée est au fondement de nos démocraties. Dans son sens philosophique, la citoyenneté implique une volonté de donner à toutes et tous le droit et les moyens de s’intégrer dans la société, d’y avoir un rôle et de contribuer à la rendre meilleure.

Pourtant, au sens strict, le statut du citoyen athénien était bien éloigné de cet idéal. Il ne concernait qu’une minorité de la population; esclaves, femmes et hommes étrangers en étaient notamment exclus

Un engagement collectif au quotidien

Aujourd’hui, on se glorifie – particulièrement en Suisse – de nos démocraties modernes, qui semblent bien éloignées de leur version antique. Qu’en est-il réellement? Qu’est-ce que la citoyenneté pour un·e étrangère·er en Suisse ou un·e Suisse à l’étranger?

Chaque individu a l’envie ou le besoin de participer à quelque chose de plus grand que soi. Cela n’est généralement pas dissociable d’une volonté d’engagement collectif. Au cours de nos vies, que l’on reste à l’endroit où l’on est né ou que l’on migre, on apprend à connaître les lois, les traditions, la langue et la culture de la société à laquelle on appartient, pour mieux s’y intégrer, y contribuer, mais aussi pour la critiquer et la faire évoluer. Des décisions qui peuvent sembler mineures ont un impact collectif: adhérer à un syndicat, soutenir un parti politique, participer à une association culturelle, ai- der un·e voisin·e ou un·e collègue dans une mauvaise passe, choisir le bistro, la libraire, le cinéma qu’on a envie de soutenir, le journal auquel on s’abonne, le moyen de transport utilisé pour aller au travail ou partir en vacances.

À travers cet engagement collectif, chaque personne est en réalité un·e citoyen·ne, quelles que soient son histoire et son origine, et chacun·e a un devoir de contribuer au tissu social à l’échelle locale, nationale et mondiale, pour que la société soit bien plus qu’une somme d’individualités.

Étrangères·ers en Suisse et Suisses à l’étranger

Environ 25% des résident·e·s en Suisse n’ont pas de passeport suisse. On oublie souvent l’autre facette de la mobilité internationale: 11% des personnes qui possèdent un passeport suisse vivent à l’étranger. Qu’est-ce que cela signifie pratiquement pour une personne qui a vécu cinq, dix, vingt ans, voire toute une vie dans un pays qui n’est formellement pas le sien? Bien souvent: rien! Car la citoyenneté s’exprime d’abord par un engagement social, professionnel ou bénévole, dans son quartier, sa cité, sa région et son pays – celui où l’on vit. Notre pays d’origine nous construit et nous accompagne toute notre vie, mais ne se situe pas au même niveau que notre citoyenneté quotidienne.

Cette différence entre la citoyenneté et la nationalité, une large partie de la population – ici ou ailleurs – la vit au jour le jour. Certains mécanismes liés aux droits de résidence facilités (dans l’espace Schengen par exemple) ou de vote et d’éligibilité à l’échelle locale vont dans le bon sens. Pourtant, le système démocratique est encore loin d’être adapté à la réalité cosmopolite: plus de 770’000 personnes vivant à l’étranger peuvent élire les membres du Conseil national, alors que deux millions de résident·e·s en Suisse n’ont pas ce droit. Dans un monde où la mobilité est globale et les enjeux économiques, sociaux et environnementaux dépassent les frontières des États, il est grand temps d’adapter le sens juridique de la citoyenneté, à la fois en privilégiant le droit du sol au droit du sang mais aussi en renforçant les mécanismes démocratiques internationaux, pour qu’à la citoyenneté au sens large soient associés des droits civiques et politiques.

Cet article a été publié dans le dossier de Pages de gauche n° 176 (été 2020), consacré à «la politique au quotidien».

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