Initiative 99%: les millionnaires, leur fortune et la Suisse

Hervé Roquet •

Combien possèdent le 1% des plus riches? Combien de personnes font-elles partie de cette catégorie en Suisse? Le Crédit Suisse livre chaque année le Global Wealth Report, un rapport détaillé sur les riches de Suisse et d’ailleurs. Nous avons décortiqué ce rapport de 2018 pour en extraire les informations les plus éclairantes sur le niveau réel d’inégalité dans la répartition du capital et pour comprendre ce que possède vraiment la classe de privilégié·e·s visée par l’initiative 99%.

High net worth individuals – littéralement les «individus à haute valeur nette» – c’est le nom plus que cordial utilisé par le Crédit Suisse dans son rapport annuel sur les richesses globales afin de décrire ses plus intéressantes cibles, celles et ceux qui forment une classe suffisamment homogène pour être également identifiée comme tel dans le langage courant : les millionnaires, les 1%, les super-riches, ou l’élite.

Pour la définition strictement financière, les high net worth individuals sont toutes celles et ceux qui possèdent au minimum un million de fortune nette en actifs réels (par exemple immobilier, œuvre d’art, etc.) ou financiers (par exemple actions, devises, etc.). Sachant que pour être dans les 1% les plus riches du monde il faut détenir au minimum
800’000 $ de fortune nette, la définition financière des «individus à haute valeur nette» recoupe en grande partie celle des 1 %. Que possèdent réellement cette élite en Suisse et quelle part de la fortune totale suisse cela représente-t-il? Nous avons épluché le rapport du Crédit Suisse et décidé de vous présenter les chiffres les plus intéressants sur ces privilégié·e·s.

Une Suisse attractive

Au niveau global d’abord, le Crédit Suisse nous apprend que les 1% des plus riches individus de cette planète possèdent environ 47% de l’entier de la fortune nette mondiale alors que les 50% les plus pauvres en détiennent un peu moins de 1%. La Suisse se trouve être spécialement attractive pour ces 1% des plus privilégié·e·s de ce monde: 876’000 d’entre elles et eux y vivent, soit 12,8 % de la population suisse adulte en 2018.

Ce nombre exceptionnel de riches sur le territoire suisse tire vers le haut la richesse moyenne détenue par habitant·e à 530’244 $ et fait trôner la Suisse à la première place mondiale de la richesse moyenne par habitant·e. Il est important de noter que ce chiffre est lui-même tiré vers le haut par les quelques 2’646 Ultra high net worth individuals résidant en Suisse et possédant des richesses supérieures à 50 millions. Si l’on s’intéresse exclusivement aux millionnaires et multimillionnaires (en dollars) résidant sur le territoire suisse en 2018, le Crédit Suisse en dénombrait 725’100, soit 10,6% de la population adulte. C’est la densité de millionnaire la plus élevée au monde pour un pays. En Suisse, en raison de ce très grand nombre de millionnaires, être millionnaire ne suffit pas pour faire partie des 1% des plus riche du pays, pour cela il faut détenir une fortune nette supérieure à environ 3 millions de francs.

Taxer plus pour gagner plus

Face à cette réalité économique exceptionnelle en comparaison internationale, l’initiative 99% ne vise rien d’autre que d’amener cette classe de privilégiés qui se sent si à l’aise en Suisse à contribuer un peu plus sur ce que leurs actifs leur rapportent au quotidien, c’est-à-dire les revenus du capital. La Suisse, de par son attractivité pour les super-riches et leur patrimoine, est le pays par excellence où une telle augmentation de l’imposition sur les revenus du capital peut rapporter énormément à la collectivité. Le départ hypothétique de quelques multimillionnaires vers d’autre paradis fiscaux – bien que brandi comme un épouvantail par les partis bourgeois – n’est absolument pas à craindre. En effet, les pertes fiscales occasionnées par le départ de ces quelques privilégié·e·s seraient plus que largement compensées par l’augmentation de l’imposition de ceux et celles qui resteraient. Comme Cristobal Young l’a encore démontré en 2017 dans son livre consacré à cette question (voir bibliographie), les millionnaires sont nettement moins disposé·e·s à s’expatrier à la suite d’une augmentation de leur imposition que ce que le mythe médiatique entretenu par la droite et le patronat veut faire penser.

Prendre l’argent là où il est

Concernant l’évolution des inégalités de fortune en Suisse au fil des décennies, le Crédit Suisse est sans appel: «parmi les dix pays ayant de longues séries de données sur la répartition de la fortune, la Suisse est le seul à n’avoir connu aucune réduction significative des inégalités de fortune au cours d’une sous-période du siècle dernier». Les derniers chiffres de l’Administration fédérale des contributions confirment cet état de fait: alors qu’en 2003 les millionnaires en Suisse ne possédaient «que» 54% de la fortune totale des personnes physiques, ils en possèdent 66 % en 2015 – derniers chiffres publiés.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 171 (printemps 2019).

Crédits image: Sharon McCutcheon sur Unsplash.

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